Chapitre 7 : Tâtons le terrain !

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« Il ne s'agit pas de transmettre une vision, mais de toucher les gens à travers une image »

Ansel Adams

2019, Paris, 10e arrondissement, mardi 13 aout

J'ai pris ma voiture, mis l'enregistreur et l'appareil photo sur le siège passager. Comme si j'étais une pro. Quelle idée ! Le studio photo de Gabriel est beau, je dirais même envoutant, d'un bleu pétrole et la porte d'un bleu électrique, des photos de femmes à moitié nue étaient exposés sur la vitrine, toutes en noires et blancs donnant un côté sensuel au studio, sur la porte apparaissait des photos de paysage qui semblaient toutes très réaliste et toutes encore une fois en noires et blancs. Les couleurs des murs ou de la porte auraient pu attirer le regard mais ce n'était pas le cas, les photos attiraient le regard. Sensuel, sexy et électrique pour les photos de femmes et envoutant pour les photos de paysages.

Les passants n'hésitaient pas une seule seconde à s'arrêter pour prendre en photo les photos affichées. Effet de groupe ou non, je décidai de reculer un peu, m'armai de l'appareil photo acheté d'occasion sur un site internet pour prendre en photo ce phénomène (dix personnes étaient maintenant amassées devant le studio...effet de groupe). La photo n'était pas aussi belle que celles de Gabriel mais on fera avec.

Je me rapprochai de la porte et entrai, le studio était à l'intérieur encore plus beau qu'à l'extérieur, les murs étaient de couleur blanc, sur un des murs un tag énorme prenait toute la place. « Studio photo » était écrit en rouge et les contours étaient en noirs. Des panneaux blancs étaient installés où des photos prenaient place : un appareil photo, un avion, un immeuble désaffecté, plusieurs tags, un sablier... toutes en noires et blancs, toutes sombres mais toutes belles. Seul le tag était de couleur. Ce qui ressortait le plus. Mais moi j'étais hypnotisée par les photos. Sa passion pour les photos ressortait sur ces dernières.

Je me rappelle encore du Gabriel de seize ans, sans barbe, sans tatouages, avec ses boucles d'oreilles, qui rêvait sans rien attendre des autres, ni leur jugement, ni leur accord. C'était moi au masculin finalement.

Pour revenir au studio, ce qui me choqua le plus fut qu'il n'y avait aucun appareil photo sur un trépied, lumière ou fond blanc comme si c'était un studio photo sans être un studio photo, une simple exposition.

Je fis un tour sur moi-même, cherchant des yeux Gabriel que je ne trouvais pas. Ou plutôt que je ne reconnus pas. Il avait troqué ses cheveux bruns pour des mèches blondes, enlevé ses boucles d'oreilles. Il avait beaucoup changé, il parlait actuellement avec deux hommes vêtus de costumes. Il leurs montrait certaines photos affichées au mur et d'autres encore dans un catalogue. Des photos plus claires étaient dans le catalogue. Je m'approchai de lui, il me répondit d'un signe de la main d'attendre. M'a-t-il reconnu ? Ça m'étonnerait. Il adressa quelques derniers mots aux deux hommes et s'approcha de moi :

-Bonjour, vous êtes Jade, c'est vous la blogueuse qui devait m'interviewer ?

-C'est moi !

-On va monter en haut pour être plus au calme. Vous pouvez me suivre.

On prit les escaliers dans le fond de la salle que je n'avais pas vu auparavant. La salle du haut était tout simplement un grand bureau aux meubles modernes. Contrairement à la salle du bas aucune photo ni aucun tableau n'étaient accrochés au mur. Des murs blancs, simple. À contrario de la galerie.

Nous commençâmes directement l'interview :

-Vous avez vingt-six ans ?

-C'est ça. Et vous ?

-Je ne suis pas censé répondre mais j'ai vingt-six ans. Vous habitez à Paris depuis toujours ?

-Depuis ma naissance mais j'ai pendant une dizaine d'année habiter et travailler à Arles. Je suis revenu pour avoir un nouveau défi.

-Pourquoi toutes vos photos sont en noir et blanc ?

Son visage se rembrunit immédiatement, je crus sur le moment qu'il allait me mettre à la porte sans oublier de me dire de ne plus revenir. Mais il se reprit tout de suite et continua :

-D'un côté artistique, je trouve ça plus mystérieux, plus beau et d'un côté personnel ça me permet de faire ressortir la partie sombre en moi en assombrissant mes photos.

-Pourtant vous faites des photos en couleur, pourquoi ne pas nous les montrer ? Pour entretenir votre image de Bad Boy ?

-La plupart de mes photos en couleur sont les originaux, les autres sont des photos que je vends pour les acheteurs qui préfèrent les photos en couleur. Je ne préfère pas les afficher, non pas pour entretenir mon image de Bad Boy mais tout simplement parce que je me retrouve pas dans ces photos, j'ai l'impression que ce ne sont pas mes œuvres.

-Vos photos de voyage sont très jolie mais pourquoi les exposer ? Ce sont plus des photos personnelles je trouve ?

-Je suis parti en voyage justement pour ça, montrer ce que les autres photographes ne montrent pas, l'envers du décor, les faces cachées des villes. Les entrepôts désaffectés, les tags, ça fait partie du paysage pourtant tout le monde retouche ses photos pour le cacher, moi c'est tout le contraire, je veux montrer les photos brutes, les originaux, celles prise sur le fait.

-Les photos de femmes nues, pourquoi les exposés sur la vitrine ? C'est très beau mais pourquoi directement dans la vitrine ?

-Il y'a plusieurs raisons à cela, tout d'abord pour montrer la vérité, sans retouches une nouvelle fois, pas comme sur les réseaux sociaux, montrer une femme avec des formes, de la cellulite, des cicatrices ou tout autres choses que l'on appelle « défauts ». Pourquoi elles sont nues ? Pour que la mentalité française change, la femme, elle donne la vie alors on lui doit un minimum de respect quand je vois des articles concernant des agressions, des viols sur des femmes je me dis qu'il faudrait que cela change. Ce n'est pas normal. Je les ai mises sur la vitrine pour mettre sur le fait directement. Soit vous entrez parce que vous aimez mon style soit vous partez. Et pour l'instant cela marche plutôt bien.

-Belle état d'esprit, j'ai encore quelques questions et ce sera bon. Pourquoi avoir fait vos études à Arles ? Pourquoi aussi loin ?

Son visage se ferma et un blanc s'installa, je ne voulais pas continuer, cette question avait l'air de le gêner, cela voulait dire que la réponse en valait la peine, après quelques instants je compris qu'il ne comptait pas répondre alors je complétai :

-Pourquoi ne pas avoir installé d'appareils photos ou de matériels pour prendre des photos ? Pourquoi on voit seulement des photos ?

Il ne me donna pas de réponses pendant quelques temps, le temps que Gabriel reprenne ses esprits.

-Ici ce n'est pas un studio, ce n'est pas ce que je veux, faire des books, des photos d'identité, pour moi ce n'est pas le métier de photographe, je veux capturer l'instant présent sans filtre, sans chichis. Ici, je veux qu'on voit ce que je fais, pas ce que je dois faire ou ce que je peux faire. Faire des photos comme ça, sans but, sans envie, je sais faire mais je ne veux pas le faire.

-En tout cas ici c'est très réussi et les explications derrière chaque choix sont très complet. Je vais prendre quelques photos et filmer la pièce du bas. Merci beaucoup en tout cas pour vos réponses, votre honnêteté et votre temps Je vous enverrai l'article par mail.

Il acquiesça et me dit « suivez-moi », on redescendit les escaliers, cinq personnes étaient entrées dans la salle et contemplaient les photos et le tag.

Je pris Gabriel en photo devant la vitrine, une vidéo de l'extérieur et de l'intérieur, quelques photos des photos. Puis ce fut pour moi l'heure de partir.

-Merci encore pour votre accueil.

-Je vous donne mon numéro si vous avez d'autres questions ou si vous voulez qu'on prenne un café un de ces jours.

Il me tendit sa carte professionnelle et rajouta son numéro personnel à l'arrière.

-Merci beaucoup.

Je lui serrai la main et pris la porte. Tout s'était passé comme prévu.

TOUT GÂCHEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant