Chapitre 28 -Suzie

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Dimanche 17 novembre 2019

Je baille devant mon ordinateur. Je profite d'un moment de calme une fois les enfants couchés. Le seul bruit est celui du lave-vaisselle. J'hésite à aller me coucher, mais j'attrape mon carnet pour les générations futures - rien que ça ! Je pouffe - et je commence à écrire.

"Ces derniers temps, je me suis un peu déconnectée de mes émotions. Comme si j'étais parvenue à un certain niveau de saturation. J'ai décidé de ne plus regarder de documentaires sur les crises, quelles qu'elles soient. De moins lire d'articles de journaux et revues sur internet recensant les drames du jour et les nouvelles catastrophiques... mais au final, je verse dans un excès de distraction.

Je me suis immergée avec délectation dans une série policière, meublant les rares moments de calme que la vie quotidienne m'octroie, entre travail, enfants, couple, courses, cuisine...

Et encore une fois, je m'interroge sur ce que j'écris ici et comment mes mots sont compris par ceux qui trouveront ce carnet. Comment expliquer à un éventuel lecteur ce qu'est une série policière ?

S'il y a encore des vivants dans quelques décennies, il y a assurément des livres, même peu. Et si ces vivants savent lire, alors ils connaissent la puissance de transport contenu dans les mots, le pouvoir d'un texte. A quel point une histoire peut faire voyager, au point d'oublier leur propre existence le temps de quelques heures. Ils connaissent le fait d'être happé par le rythme des pages qui défilent, par la plume d'un auteur habile, par les rebondissements d'une histoire bien menée.

Toutes les histoires ne sont pas de même qualité, mais même un roman médiocre permet de sortir de notre propre cerveau afin de souffler un peu.

Les images se forment dans notre tête, les personnages se dessinent, flous ou précis, il y a presque de la musique...

Alors, toi qui me lis, si tu es là, imagine.

Imagine une société dont un des piliers est le divertissement. Où il existe des médias aussi prenants, voire plus, qu'un bon bouquin. Où la télévision et internet permettent d'accéder en permanence à des milliers de films, à des centaines d'histoires filmées appelées séries.

Pour préciser ce que j'écris plus haut, une série policière, c'est, pendant quelques heures ou dizaines d'heures, suivre un ou plusieurs personnages élucidant des crimes, des meurtres, souvent commis par des psychopathes. C'est à la fois glauque, captivant et reposant.

Pendant une petite heure (durée moyenne d'un épisode de série), je suis plongée dans les états unis des années 1970, je suis l'histoire d'un agent du FBI (un genre de super policier) dont le rôle est de comprendre le fonctionnement des tueurs en série. C'est inspiré d'une histoire vraie, mais librement adapté. C'est inutile et agréable.

Mon univers regorge de ce genre de distractions, évoquant des dizaines d'univers différents. Il y a assez de séries et de films pour passer sa vie entière devant un écran à vivre dans des histoires imaginées par d'autres.

Certains le font, d'ailleurs.

La façon dont les gens décident des priorités dans leur vie est influencée par cette culture du divertissement.

Pour énormément de personnes, moi inclus, le quotidien consiste à échanger 7 ou 8 heures de vie par jour contre un salaire, en réalisant un travail quel qu'il soit (professeur, conseiller, maçon ou fleuriste...), à gérer la maintenance quotidienne sur quelques heures tôt le matin ou le soir, puis à décompresser devant une distraction, film, série, livre, internet, jeu vidéo...

Chroniques d'un monde qui s'effondreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant