Dans un univers où les vivants peuvent absorber l'énergie environnante, les plus doués sont nommés "Cultivateurs" et ont accès à une puissance quasiment divine, à quoi ressemble le quotidien d'Esh ?
Difficile à dire, car à la veille de ses treize...
Esh était dans sa chambre en y faisant les cent pas à un rythme frénétique. Cette semaine, qui précédait celle de la cérémonie, avait été particulièrement éprouvante pour ses nerfs. En effet, dès le lendemain de la cérémonie, Moti, fidèle à lui-même, ne put s'empêcher de se moquer de lui devant le reste de la classe, faisant remarquer qu'il avait battu un record au sein du village :
̶ Record de médiocrité bien sûr ! sentit-il le besoin de préciser. Ne pas parvenir à colorer une facette de la pierre, alors que l'autre était verte, démontre un manque clair d'Équilibre, et est indigne du fils du Grand Prêtre, ajouta-t-il avec un sourire sournois au bout des lèvres.
Esh dut se retenir d'aller lui expliquer le fond de sa pensée avec ses poings. Après tout, les épisodes de la grotte n'avaient pas seulement changé son état d'esprit, mais aussi ses capacités physiques. Il savait qu'il pourrait, sans problème, prévaloir sur son ennemi d'enfance, qui n'avait même pas encore commencé à cultiver.
Seulement, son père avait été catégorique : il ne devait, sous aucun prétexte, révéler ses nouvelles capacités. Pas question de risquer que les gens soupçonnent ce qui se tramait ! Après tout, le village ne comptait sûrement pas investir des ressources dans une personne dont les chances de devenir Moumré étaient pratiquement nulles. Il avait d'ailleurs dû grandement en coûter à son père, d'habitude si moralisateur sur les valeurs de l'Équilibre, de mentir au conseil du village sur l'état actuel de son fils. Mais apparemment, il avait conscience de sa responsabilité dans ce qui était arrivé à son fils et avait décidé d'en assumer l'entière responsabilité, en s'assurant que celui-ci puisse arriver au sommet de son potentiel malgré la situation.
Sinon, maintenant qu'il y repensait avec du recul, Moti, qui, trois mois plus tôt, avait seulement réussi à colorer la facette physique d'un bleu foncé, et l'autre en grise, pour ensuite être accepté sous condition, comme la fille du jour de sa cérémonie, devait ressentir de la jalousie envers lui.
En effet, à part dans son cas très particulier, où il allait devoir cultiver les deux facettes, il était bien plus important d'être talentueux dans un seul des aspects de la cultivation. Par exemple, une facette verte et l'autre grise étaient infiniment plus avantageuses que deux bleues, pour une personne qui suivait le chemin conventionnel de l'immortalité, et qui pourrait, grâce à cela, s'y avancer bien plus loin.
Après tout, le chemin ne se contentait pas juste d'être épineux et rempli de dangers, mais il était aussi injuste – récompensant davantage le talent acquis à la naissance et pratiquement impossible à changer – que les efforts de l'individu.
Ce talent prenait principalement forme dans la largeur des méridiens, le réseau permettant de faire circuler l'énergie spirituelle. Plus ceux-ci étaient larges, plus il était possible d'absorber l'énergie spirituelle environnante rapidement. Et cela, Moti avait commencé à le comprendre, sans vraiment parvenir à l'accepter.
Cette prise de conscience apaisa Esh, qui décida de partir aux bois de la bordure du village, où il savait qu'il trouverait Nééman. Celui-ci avait décidé de ne pas repartir chasser dans les grottes avant que Namer récupère complètement, et occupait désormais son temps en coupant du bois avec son bras précédemment perdu, disant qu'il devait de nouveau le cultiver.
Même si Esh a toujours eu de bons rapports avec lui, cela n'avait rien à voir avec maintenant, leur aventure les ayant rapprochés comme aucun repas du jour de l'Équilibre, auquel le chasseur était régulièrement convié, ne le pouvait. L'adolescent (après tout, c'est ainsi que son entourage le considérait, maintenant qu'il était à l'âge de la responsabilité) passait régulièrement de longues heures à regarder le géant couper du bois, tout en lui racontant ses mésaventures quotidiennes pendant ses classes, et en riant aux blagues simples mais efficaces que le chasseur ne manquait jamais de faire.
̶ Qu'est-ce que le comité du village a décidé de faire au sujet des bandits qui se sont attaqués à la dynastie des lions ? demanda Esh, couché sur un amas de bûches entouré d'épis de blé, brisant par la même occasion un silence de plusieurs minutes.
̶ Le conseil a fait passer l'information à la capitale, espérant que les piliers de l'Équilibre reprennent le contrôle de la situation. Le village a également décidé d'augmenter les ressources pour entraîner les Aspirants au Chemin, lui répondit le géant, tout en tranchant en deux un énième tronc d'arbre.
Esh, ne pouvant s'empêcher de se remémorer les horreurs dont Pisga avait été témoin, s'affola :
̶ Mais il pourrait arriver à tout moment, le village devrait être sur le pied de guerre !
̶ Ne t'en fais pas. Cela leur prendra du temps pour prendre le contrôle total de la grotte au nord. De plus, ils devront récupérer des pertes qu'ils ont subies durant la prise de la grotte. Le village a encore quelques années de répit pendant lesquelles l'Église de l'Équilibre aura, j'espère d'ici-là, la prévoyance de régler le problème sans que le village n'ait à intervenir directement, le rassura-t-il, tout en fixant, d'un air pensif, le soleil se coucher.
̶ Retourne à la maison, ton père t'y attend pour t'expliquer un sujet important, mais il va falloir mettre vos différends de côté si tu souhaites obtenir des résultats, le prévint Nééman sur un ton sérieux.
Esh allait répliquer, mais se retint. Le chasseur parlait la plupart du temps d'un ton détaché ou enjoué, ce qui donnait d'autant plus de poids à ce qu'il disait quand il devenait sérieux. Et après tout, cela ne pouvait pas non plus être si difficile d'être seul avec son paternel dans une pièce sans se disputer, si ?
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