Dans un univers où les vivants peuvent absorber l'énergie environnante, les plus doués sont nommés "Cultivateurs" et ont accès à une puissance quasiment divine, à quoi ressemble le quotidien d'Esh ?
Difficile à dire, car à la veille de ses treize...
Kerah contenait officiellement 360 sectes. Chacune possédait un rang et des particularités, mais toutes étaient sous la juridiction de l'un des trois Piliers du Pays : l'Église de l'Équilibre, la dynastie des Olamotes et la Guilde des Marchands. Il était impossible de maintenir une structure autonome à Kerah, les trois géant qu'était les piliers s'y refusaient, autant attachés au pouvoir qu'un nouveau-né au sein de sa mère.
La secte d'Evelle était nommée La Grâce du Seigneur : elle était sous la tutelle de l'Église et ne comportait que des femmes. Cette secte était la quatrième plus renommée du pays, et la deuxième plus prestigieuse de l'Église. Le talent à lui seul ne suffisait pas pour l'intégrer, il fallait également posséder un réseau solide, et c'était grâce à celui de son père qu'elle avait été admise.
On attendrait d'une institution religieuse qu'elle fonctionne de manière honorable, mais il n'en était rien : La Grâce du Seigneur avait beau posséder des règles strictes, elle encourageait, comme la majorité des autres sectes, la rivalité entre ses disciples répartis entre disciples externes, internes et centraux.
C'était principalement le cas pour les disciples externes, constituant 90 pourcent des membres de la secte, faisant principalement office de filtre pour différencier les éléments prometteurs des « mauvais herbes ».
Vu que la secte fermait l'œil sur la majorité des événements impliquant seulement les disciples externes, il n'était pas rare que ceux-ci se mettent des bâtons dans les roues, n'hésitant pas à saboter le travail d'autrui, voire même à voler des ressources, distribuées selon le même système qu'au collège d'Eden : en fonction du classement de chaque disciple, établis en fin de premier semestre.
Ce n'était pas tout. Même si les meurtres entre disciple étaient sanctionnables d'exécution, il était fréquent que des disciples en commettent lors de missions en dehors de la secte où les preuves étaient plus facilement dissimulables.
Lors d'une mission de cueillette de plantes spirituelles, Evelle avait elle-même failli y passer après que l'une de ses coéquipières, d'un an son aînée, avait décidé de tuer celle qu'elle considérait une proie facile et inexpérimentée pour voler ses ressources. Au final, ce fut la proie qui s'avéra être la vraie prédatrice, et Evelle parvint à tuer la jeune fille de justesse, récupérant par la même occasion sa bague dimensionnelle.
En voyant la quantité de butin obtenu, Evelle comprit pourquoi tant de gens se rabaissaient à de tels actes, malgré les risques et l'ignominie que cela comportait.
Son attaquante avait accumulé ses ressources pendant une année entière, permettant à Evelle de passer de trente-cinq à trente-sept pourcent du premier Pas ! De plus, les nombreux talismans également présents dans l'espace de stockage avaient augmenté ses chances de survivre au prochain danger barrant sa route.
Toutefois, les sectes n'étaient pas seulement victimes de rivalités à l'intérieur de leurs structures, elles l'étaient également entre elles. C'était pourquoi elles achetaient à prix d'or des renseignements sur les autres. Certaines informations pouvaient même permettre de doubler leur nombre de ressources allouées !
Evelle avait donc décidé d'organiser une rencontre avec des personnes en qui elle avait entièrement confiance pour échanger au sujet de leurs expériences et obtenir des conseils, et plus important encore, de partager des informations susceptibles d'être rachetées par leurs sectes respectives. Elle prit donc la parole devant ses camarades :
̶ Comme vous le savez, j'ai été admise l'année dernière à La Grâce du Seigneur. Je ne suis encore qu'une disciple externe, les informations sensibles de ma secte ne me sont donc pas partagées. J'ai cependant remarqué que beaucoup de disciples recevaient des missions à la frontière Sud. Je soupçonne que l'Église cherche à profiter du désordre que subit le pays face à Aher, le pays voisin. C'est malheureusement la seule information d'une quelconque valeur que j'ai à vous donner, dit-elle en s'efforçant de ne pas rougir de honte.
Après tout, elle avait réuni tout le monde dans le but d'obtenir des informations de valeur, mais n'était elle-même pas vraiment capable d'en fournir.
̶ Comment est ta vie là-bas ? demanda Meshiha d'une voix basse.
La peau d'Evelle se hérissa au seul son de sa voix : son amie lui avait manqué.
̶ Ma situation y est relativement bonne. Les sectes contrôlées par l'Église ont heureusement des règles plus strictes que les autres et, vu les critères de sélection de la mienne, elle ne désire pas gâcher ses talents pour rien. Être exclusivement entourée de filles m'épargne également certains... problèmes, dit-elle en lançant un regard insistant sur la tenue voilée portée par l'Aspirante bientôt âgée de dix-sept ans, dissimulant des formes plus femme qu'adolescente.
Bien sûr, elle maintint sous silence l'incident avec l'élève ayant tenté de l'assassiner. Elle avait beau avoir confiance en ses anciens camarades, on ne savait jamais qui écoutait. Le raconter impliquerait des risques inutiles.
Chacun prit la parole à son tour. Malheureusement, cela ne faisait que quatre mois qu'ils avaient rejoint leurs sectes. Ils se trouvaient donc au plus bas de l'échelle, bien trop loin des preneurs de décisions. Le seul, qui fut vraiment capable d'offrir un renseignement de valeur fut Shamene, leur annonçant que l'une des plantes que sa secte utilisait afin de créer l'un des médicaments dont elle avait la spécialité était des fleurs de sang.
Au tour de Yafa de conter son expérience, Evelle ne put s'empêcher de frissonner en entendant toutes les histoires d'abus sexuels se déroulant au sein des sectes mixes. Pour l'instant, elle n'avait pas eu de problème, mais il n'était pas rare qu'un disciple central profite de son statut pour prendre avantage d'une disciple externe ayant attiré son regard. C'était la raison principale pour laquelle Yafa et Meshiha, plus belles l'une que l'autre, étaient désormais voilées de la tête aux pieds.
Une fois leurs comptes rendus terminés, le soleil commençait à s'entrevoir parmi la masse dense des sapins enneigés. Tous se donnèrent rendez-vous l'été prochain avant de se souhaiter bonne chance.
Mais alors qu'Evelle s'apprêtait à partir en direction du manoir, une main la stoppa. Elle était douce et rassurante au toucher, mais froide et tremblante à la fois. Evelle se tourna vers sa propriétaire qui n'osait même pas la regarder dans les yeux, mais qui ne pouvait néanmoins pas se résoudre à la laisser partir. Evelle allait la repousser tendrement, mais se sentit soudainement étouffée par la pression accumulée depuis les derniers mois.
Elle était fatiguée. Fatiguée de faire constamment semblant. Fatiguée de devoir incarner un caractère qui n'était pas le sien. Fatiguée de devoir constamment surveiller ses arrières. Fatiguée... d'être fatiguée.
Elle prit donc son courage à deux mains, et leva le voile de son amie, un voile ne dissimulant pas seulement son physique, mais aussi ses sentiments. Le duo abattit le mur de préjugés et de conditionnement dressé entre elles depuis leur naissance, et s'enlacèrent. Ce qu'elle n'avait jamais osé imaginer se produisit.
Cela débuta par un simple baiser, avant d'être suivi de bien plus... Pour la première fois depuis une éternité, Evelle s'accorda un droit considéré comme dû par la plupart : être soi-même.
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