Dans un univers où les vivants peuvent absorber l'énergie environnante, les plus doués sont nommés "Cultivateurs" et ont accès à une puissance quasiment divine, à quoi ressemble le quotidien d'Esh ?
Difficile à dire, car à la veille de ses treize...
Ayant, au final, réussi à endurer les cours jusqu'à la fin de semaine, Esh était assis auprès d'un arbre dans la forêt où il avait pris l'habitude de se confier à Nééman, pendant que celui-ci coupait du bois avec sa hache. Mais comme le géant n'était toujours pas revenu, le bosquet paraissait bien vide, et Esh devait avouer que cela lui manquait de ne plus pouvoir se confier à lui. Il savait qu'Evelle, aussi, pourrait être une confidente qui ne le jugerait pas, mais son père lui avait interdit de détailler ce qui s'était passé dans la grotte, et c'était justement le sujet autour duquel tournaient tous ses problèmes.
Maudite cultivation aux deux facettes ! Il aurait voulu raconter à Nééman sa première semaine au collège, les cours de compréhension naturelle, où il avait dû faire semblant de ne pas éprouver d'affinité avec l'eau ̶ la première loi qu'ils avaient explorée en classe ̶ mais au contraire, d'être captivé par le feu le cours suivant. De plus, il se posait des questions sur les options qu'il avait choisies : les Aspirants devaient faire leur choix entre fabrication, formation, économie, débat et art. Au début, il pensait s'orienter vers l'économie et les formations, mais pendant cette première semaine, des professeurs étaient venus vanter les mérites de leurs matières et effectuer des démonstrations.
Quand ce fut au tour du professeur d'art, Esh, ainsi que la majorité de la classe, furent extrêmement surpris de le voir peindre un tableau aux motifs mouvants, représentant une goutte d'eau tomber dans une flamme, puis s'évaporer avant de se refroidir et d'y retomber, formant un cycle sans fin. Il ne pouvait s'empêcher de ressentir une forte connexion envers ce tableau, et avait mémorisé avec précision chaque mouvement de pinceau que le vieil homme avait utilisé. Devant la classe ébahie, le peintre n'avait pu s'empêcher d'être hautain.
̶ Campagnards que vous êtes ! À vos têtes, je vois clairement que vous êtes arrivés ici en pensant que l'art n'est qu'un simple divertissement ! Chaque œuvre est capable de mettre en évidence les lois élémentaires, et ainsi de renforcer la compréhension des artistes, et même de ses spectateurs, et ce n'est que la fonction la plus basique de cette discipline. Elle peut également donner vie à ces mêmes lois, par exemple du feu, qui, peint correctement sur un habit, peut permettre à son porteur de rester constamment au chaud. Il est même dit que, si un artiste parvient au sommet de cet art, il pourra peindre et créer sa propre dimension au sein même de l'œuvre ! De plus, les peintres les plus connus peuvent vendre une œuvre pour des milliers d'énergiseurs !
Chaque mot sorti de la bouche du peintre ce jour-là résonnait encore dans la tête de l'adolescent. Les énergiseurs étaient des pierres contenant de l'énergie spirituelle, qui constituait la source énergétique la plus répandue dans le système planétaire tout entier. Elle était même devenue la monnaie universelle. Un seul énergiseur valait cent pièces d'or, et était assez pour subvenir au besoin basique d'un foyer pendant toute une année ! Des milliers d'énergiseurs étaient une somme qu'il avait bien du mal à appréhender. De plus, la stabilisation et le développement des lois étaient encore plus attrayants pour lui que les sommes à gagner. Par ailleurs, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une vague familiarité envers cet art, alors que cela était la première fois qu'il y faisait face.
Malheureusement, contrairement aux démonstrations, les autres cours avaient porté sur des explications théoriques sur ce qu'ils allaient faire au cours du semestre, et étaient ennuyeux à mourir, ce qui n'avait fait que renforcer davantage sa décision de choisir Art comme option.
Dany, quant à lui, avait continué d'être toujours aussi aimable envers lui, même s'il avait conscience de ne pas vraiment le mériter, vu la manière dont il le lui rendait.
Autre événement notoire, Esh qui ne comprenait pas pourquoi le descendant de la famille des Mehaslime (qui apparemment s'appelait Shine), qui lui jetait constamment des regards sombres, reçut, par la suite, une explication de la part de Dany. Apparemment, c'était dû à l'inimitié que la dynastie des Mehaslime partageait avec celle des Olamote. Il comprit donc que, comme lui et Dany étaient toujours assis ensemble pendant les pauses déjeuners et la majorité des cours, Shine l'avait identifié comme un ami de Dany, et comme dit le proverbe : « Les amis de mes ennemis... », ou quelque chose dans le genre.
La seule vraie bonne nouvelle de la semaine, c'était que son père l'avait exempté de ses responsabilités d'aide au village se déroulant une après-midi par semaine, et obligatoires pour tous les Aspirants de première année. Il en fut réjoui jusqu'au moment où il apprit que c'était aussi pour qu'il puisse continuer d'aider sa sœur à la préparation hebdomadaire de la cérémonie de l'Équilibre.
***
Une fois la nuit tombée et la tempête vaincue, il repartit dans la direction du manoir. Après tout, l'étude du feu était plus pratique pendant la nuit, lorsque les flammes contrastaient avec la pénombre.
Son savoir sur les lois s'était étoffé. Il savait désormais que le monde était constitué de mille lois mineures, variant de la loi de la chaleur à la loi de la musique. Ces mille lois formaient les concepts des cent lois nobles contenant, entre autres, les cent éléments pour devenir Moumré.
Un Aspirant se devait de maîtriser complètement l'une d'elles. Ces cent lois étaient elles-mêmes les concepts des dix lois élémentaires, dont la loi élémentaire faisait partie. Cependant, bien que les lois mineures soient nombreuses, les Aspirants pratiquaient presque tous les concepts provenant de la loi élémentaire ; elles étaient simplement les plus tangibles et faciles à comprendre.
***
Un moment plus tard, il était dehors, sur le toit de la maison, en train de contempler la lumière d'une énième bougie. Il ne savait plus dire, ne serait-ce qu'approximativement, combien il en avait allumé ces deux derniers mois, car il avait arrêté de compter à partir de la centième.
Son père lui avait décrit, suite à leur première mise au point, les deux concepts (ou lois mineures) du feu les plus faciles à comprendre, qui étaient ceux de la chaleur et du mouvement.
La première étape, qui avait montré un certain degré de compréhension, était donc d'arriver à chauffer les palmes de ses mains en utilisant le concept de chaleur. Malheureusement, après presque deux mois, il ne parvenait toujours pas à faire autre chose que de bêtement fixer une bougie. C'était d'ailleurs à peine s'il parvenait à ressentir la présence de la flamme, une fois qu'il fermait les yeux.
Entre ceci et les échecs répétitifs pour interagir avec l'amulette, il sentait le besoin ardent d'obtenir des résultats concrets dans un domaine en rapport avec la cultivation, surtout après tous les efforts qu'il avait fournis. Il se demandait même parfois si tout cela n'était pas qu'une vaste blague de son père, et pensait que ce n'était pas du tout la bonne manière de procéder afin d'avancer sur le Chemin, avant bien sûr de se rappeler que l'humour et son père avaient autant en commun que le caractère d'Evelle et Guéa.
Au bout d'un moment, et à force d'essayer, sa concentration s'estompa. Ses pensées dérivèrent vers le tableau que le professeur avait peint pendant sa démonstration, et en particulier sur la flamme, qui finissait inexorablement par faire chauffer la goutte d'eau jusqu'à ce qu'elle s'évapore.
C'est alors que, sans même essayer, ses paumes, pourtant gelées à force d'être restées à l'air libre en pleine nuit, se rechauffèrent, lui donnant l'impression agréable de porter des gants. Esh ne put réprimer un éclat de rire après avoir finalement réussi. Décidément, l'art de la peinture était plein de surprise, et il attendait avec impatience le premier cours en début de semaine !
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