20° Tambour battant

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- Quelques heures plus tôt -




Sélène


Le tintement de la cuillère contre la tasse résonnait à rythme régulier, tandis que le tic tac de l'horloge ponctuait le silence.

Je me sentais oppressée, prise en étau sous la violence du sentiment.

Nonna ne me regardait pas, son regard déviait, perdu dans la contemplation du vide.

Les jours avaient passé, mais la froideur de ses yeux demeurait.



Je l'observais faire tourner la cuillère dans le verre, lorsqu'elle s'arrêta soudainement et posa ses yeux sur moi.


- Sélène, les vacances s'achèvent bientôt.


J'acquiesçais, tandis que mon coeur se serra, nostalgique. Je n'étais pas prête à quitter Palerme.


- Ah, la gioventù*... dit-elle doucement. Les rêves de grandeur, les rêves d'éternité ... je m'en souviens. Ces jours où je rêvais en couleurs me semblent si loins.


Et dans sa voix résonnait toute son affliction, son regret des jours passés. Je la voyais alors sous un nouveau jour. Là, dans ce salon italien, baigné par le soleil se reflétant sur son visage, elle rajeunissait. Ses traits se raffermissaient, ses yeux retrouvaient l'éclat de la jeunesse, et alors, elle avait vingt-ans. Son sourire était franc, et les souvenirs naissaient de ses lèvres pour s'ancrer dans mon esprit. Il y avait des planètes dans ses yeux, et la chaleur de sa voix réchauffait mon coeur.


- C'était au début du siècle, dans les années vingt. J'étais si jeune, et pourtant, à cette époque, le monde nous appartenait. C'était une période de grands bouleversements. Le réveil de la classe ouvrière, le fascisme. Et pourtant, lorsqu'on sortait le soir, qu'on se retrouvait secrètement et qu'on dansait jusqu'au petit matin, c'était l'amour qui régnait. Tu sais, il y avait dans l'air un soupçon de liberté, de toute puissance. On se devait de briser les règles, d'aller contre le régime, de s'aimer à n'en plus finir. On en voulait tellement. La vie était rude, mais c'était cette beauté presque absurde des choses qui nous poussait à continuer, à nous battre pour que la lumière de nos coeurs ne s'éteigne jamais.


Nonna s'arrêta un instant, et son regard s'assombrit alors, tandis qu'elle ajouta finalement :

- La haine, la haine ... Mais elle ne nous a jamais aliénés.


Emportée par ses paroles, je la vis alors reprendre ses traits et quitter son enveloppe de jeune fille.


- Sélène, reprit-t-elle, choisit bien à qui tu donnes ton coeur, parce que tu lui donneras bien plus que ça. Tu lui donneras du temps.




-:-





Le soleil canardait les rues de ses rayons. Les arbres chatoyaient sous ses sillons. Je pédalais à contre sens du vent, et mes cheveux voletaient dans l'air chaud. Je me promenais dans les rues désertes, puis bifurquait au niveau des grandes avenues, et je m'arrêtais un instant pour observer les touristes s'exclamer devant la grandeur du Teatro Massimo.


C'était l'insouciance des jours d'été, l'appréciation de ses longues journées qui commençaient sous les chants des oiseaux et se finissaient avec l'éclat du soleil ocre et rose, lorsqu'il se couchait pour laisser place à la lune.


Il faisait si chaud que la chaleur s'écrasait en brume épaisse près du sol. Les vendeurs de glace étaient de sortie et de longues queues se formaient devant leurs stands. Je passais devant en m'imaginant un flot de saveurs dans la bouche, salivante et envieuse de ceux qui avaient quelques pièces pour s'offrir le Saint-Graal.

Mon regard déviait machinalement lorsqu'il se heurta à la vue de deux jeunes filles. Les palpitations de mon cœur s'accélérèrent tandis que je balayais vivement mes yeux autour d'elles, dans l'espoir de le trouver.

Ses deux amies étaient assises autour d'une fontaine. L'eau crachait des étincelles, et les gouttes retombaient gracieusement sur elles. La chaleur était telle que les visages luisaient sous les martèlements arides du soleil, les leurs n'échappant pas à la règle.

Près d'elle, aucune trace du blond, ou de Dante.

J'hésitais entre aller les voir, les saluer, espérer qu'elles se souviennent de moi ou tourner les talons et ravaler cette folle envie de le voir qui me mangeait de l'intérieur.

Finalement, je décidai de rebrousser chemin. Mais mon vélo s'enraya alors et je pestais contre cette soudaine salve du destin.

Bien qu'à une certaine distance, mes mouvements durent alerter les filles car elles levèrent les yeux sur moi et leurs figures se tordirent de surprise.

Mon palpitant courait dans ma poitrine tandis que j'essayais en vain de remettre mon vélo sur pieds.

Je grommelai et sentis l'étau se refermer sur moi.





Mince, mince, mince.






Et quelques secondes plus tard, elles se trouvaient devant moi tandis que leurs yeux brillaient étrangement.












•••

* La jeunesse

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