D I A M O N D S

15° Le miroir des ombres

- Quelques heures plus tôt -

Dante

Le vrombissement de la vespa s'écrasait dans les limbes du silence.

En bruit de fond, le bruit des vagues s'échouant sur la plage sonnait comme la mélodie du bonheur. Mais très vite, le son du moteur recouvrait l'écume des vagues, et alors, le martèlement de nos consciences résonnait dans l'espace infini.

- On les a fumés ces petits fils de pute !

Léandro exultait, et ses cris se répercutaient contre les murs invisibles de la nature, sonnant comme la mort dans mes oreilles sacrifiées.

On l'avait fait.

À deux, on avait fait couler le sang, fait exploser de milliers de petites étoiles pourpres devant les yeux de ces pauvres gens.

Léandro s'arrêta à un feu et se tourna vers moi. Je forçais un sourire et un assentiment, alors même que mes mains tremblaient autour du guidon. Je revoyais ces éclats de sang gicler comme des éclats d'obus. Les tâches qui s'écrasaient contre les murs blancs et les transformaient en reliques de la mort.

J'avais les mains et l'âme tachée de leur souffrance que j'avais moi même délibérément infligée.

- T'inquiète pas, Dante, souffla Léandro, les premiers, ça fait toujours cet effet. Après, ça devient mécanique. Le bruit des balles sonnera comme la mélodie du bonheur.

Horrifié, je le regardais, interdit. Qu'étions nous devenus ? Qu'avions nous fait ?

Il me lança un dernier sourire, mais j'aurais alors juré voir toute sa souffrance se presser aux portes de cette joie feinte.

Et puis, le feu repassa au vert et Léandro poussa sa vespa au maximum, comme si la vitesse avait le pouvoir d'annihiler nos actes.

Et tandis qu'il zigzaguait sur l'asphalte, je l'entendis hurler amèrement :

- La Dolce Vita!

Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, et j'eus la soudaine impression d'être rempli d'un vide. Un gouffre naquit brutalement en moi et je fus alors terrassé de l'émotion. Plus capable de rien. Je roulais mécaniquement, mais tout mon corps se cristallisait autour d'une seule émotion : le dégoût. Le dégoût profond et intense de mes actes, qui resteraient à jamais gravé dans mon âme.

Et à cet instant, je savais que plus rien ne serait pareil, que la valse infernale du sang se rejouerait dans mon esprit et que j'étais condamné à les tuer encore et encore, comme la bobine du film s'enroule et se déroule tous les jours, à l'infini.

Léandro avait décéléré et roulait juste devant moi. Il s'était tu, comme si l'exaltation s'était évanouie en apothéose, et que de ce soir ne subsistait qu'un seul sentiment : la honte.

De retour dans les rues de Palerme, on fut soudainement submergés par la réalité brutale de l'instant : la vie continue.

L'effervescence tranquille des noctambules aux coins des bars, le klaxon des voitures et les carambolages momentanés. Toute la vivacité de Palerme se reflétait sous les lumières qui tournoyaient dans le ciel étoilé. Et personne ici ne pouvait imaginer ce qu'on avait fait.

Les mots n'avaient plus d'importance. Qu'est-ce que les mots, lorsque la réalité horrifique nous prive de phrases ?

Léandro me salua d'un signe de tête et s'éloigna dans les rues éclairées. Moi, je ne savais plus où aller.

Et alors, instinctivement, je me dirigeai vers la Loggia, et rapidement, j'étais en bas de son immeuble.

Ma vespa ronronnait dans la rue silencieuse.
Mes pensées étaient en vrac, et je savais que Sélène était la seule à pouvoir y mettre un peu d'ordre. Je voulais que ses mots pansent mon âme, qu'elle m'arrache de cette fosse où mes actions m'avaient mené.

Qu'elle me sauve de moi-même.

Sa fenêtre grinça, et lorsque je levais les yeux, elle était là.

Et la mécanique de mon cœur se remis lentement en place tandis que je me dirigeai vers l'entrée de son immeuble.

...

La trame des chapitres précédent n'est pas oubliée, mais il fallait avancer dans l'histoire et j'ai donc fait un pont pour revenir en arrière. ( tout est absolument logique )

Voilà donc comment Dante en est arrivé à se retrouver chez Sélène.

Qu'en avez-vous pensé ? ✨