- Allez Siam, aujourd'hui tu vas lui parler. Tu vas quand même pas laisser ta timidité gagner n'est-ce pas ? Et arrête de perdre du temps à parler à ton reflet dans le miroir !
Je suis vraiment bizarre parfois. Et rien qu'en disant ça, j'ai l'impression d'être un cliché : tout le monde se sent bizarre. Et il faut vraiment que j'arrête de me faire perdre du temps.
C'est dans cet état d'esprit que je sors du petit cabinet et que je cherche Titouan du regard. Il est adossé à un mur près de la salle où on a cours à la prochaine heure. Il est seul alors aucune excuse, je prends mon courage à deux mains et vais lui parler.
- Salut, moi c'est Siam et tu es Titouan je crois ?
- Euh ... Exact.
- Désolée je ... On est dans la même classe et t'avais l'air sympa et j'avais besoin d'un ami donc ...
- Je comprends. Je suis prêt à parier que tu t'es fait violence parce que parler avec les gens n'est pas facile pour toi.
- Comment tu ...
- C'était presque drôle de te voir te battre avec ta timidité quand tu as commencé à me parler.
- Tu as raison. Et t'es super doué pour analyser les comportements des gens.
Et on rit. Alors c'est si simple que ça ? Tant mieux pour moi, je ne vais certainement pas me plaindre, pour une fois que socialiser n'est pas une torture.
- Par contre je dois te prévenir que tu vas souffrir si tu passes du temps avec moi.
- Je dois t'avouer que je ne suis pas trop ta réflexion.
- J'ai pour projet d'être délégué de notre classe donc je vais aller parler à tout le monde.
- C'est parfait.
Il me regarde bizarrement.
- Il faut que je me fasse des amis, ordre de mes parents.
- D'accord.
Pourquoi il a répondu en riant ? Décidément, je ne serai jamais douée pour décrypter les comportements.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Encore cet hôpital. Il va sérieusement falloir que je trouve un chemin moins glauque pour aller à mon arrêt de bus. Le bâtiment est rendu encore plus triste par la grisaille du ciel. S'il faisait beau hier, pour la rentrée, le temps se gâte déjà, donnant un aspect décrépit aux murs déjà pas joyeux, percés de fenêtres qui s'apparentent à des meurtrières, tuant, blessant quiconque aurait le malheur de passer de l'autre côté. Moi je suis le tireur, regardant, fixant, jugeant les condamnés, m'imaginant à leur place, à subir leurs émotions, leurs craintes, leurs morts. Mais tout ça ne dépend pas de moi. Du moins plus maintenant. Le choix de mes parents pèse sur moi comme l'épée de Damoclès, moi qui ai toujours aimé contrôler les choses, mes géniteurs sont les seuls électrons libres dans ma vie, la remettant en cause dans son entièreté malgré leur absence et leur ignorance de qui je suis.
A leurs yeux, peu importe ce qu'il advient de moi tant que je ne les embête pas. Tant que j'arrête de leur poser problème. Je suis presque sûre que, si ça n'impactait pas leurs affaires, mes parents seraient capables de nous abandonner, Victor et moi, légalement parlant. Ils n'hésiteraient même pas si ça leur était profitable. Mais ça ne risque pas d'arriver.Victor c'est mon frère. Mon frère en couleurs, mon frère en vigueur, mon frère en bonheur. Du haut de ses dix ans, c'est un personnage adorable mais exécrable, aussi envoutant que chiant, aussi énervant qu'attachant. Qu'est-ce que je l'aime ce petit ...
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Enfin de retour à la maison. Franchement 1h30 de bus c'est long. Après avoir passé l'habituel scanner rétinien et avoir entré le code, l'immense horloge du hall d'entrée affiche 19h30. Avec son style moderne et boisé, ce manoir est vraiment magnifique. Il y flotte toujours une agréable odeur fruitée dégagée par le produit de nettoyage passé tous les jours par une femme de ménage que je n'ai presque jamais vue. A cette heure-ci, l'imposant lustre en verre aux mille et un reflets est allumé, donnant un reflet éclatant aux escaliers de marbre, retirant malheureusement toute leur splendeur aux vitraux ornant les cinq mètres de hauteur sous plafond de la pièce. L'image dessinée par les bouts de verre reste néanmoins majestueuse une fois en haut des escaliers et, alors que je m'engage dans le couloir, je ne cesse pas de m'émerveiller de l'accueil que me réserve la demeure dès que j'y entre, comme si elle tentait de me remonter le moral et de combler le vide laissé par mes parents.
Mon père, PDG d'une grande entreprise ferroviaire et ma mère, Juge de la Cour Suprême, n'ont pas de temps à perdre avec nos "enfantillages" comme le dit si bien mon géniteur dans son autobiographie. Alors encore une fois ce soir, assis autour de l'immense table aux 20 places presque jamais occupées, Victor et moi sommes encore une fois seuls et silencieux.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
- Bonne nuit Victor ! Brosse-toi les dents et n'éteins pas trop tard !
- Oui Maman.
Douce ironie. Comme j'aurais aimé, à son âge, que quelqu'un prenne soin de moi de cette manière. Mais il ne peut pas comprendre que c'est important, il aura tout le temps de me remercier plus tard.
Ding
Depuis quand j'ai des notifications d'Instagram ?
@titouan_jaipasdidee veut vous envoyer un message.
Accepter Refuser Ignorer
Je n'y connais rien, moi. On va dire que je vais accepter parce que je suis presque sûre que c'est le Titouan de ma classe. "Accepter" . Un message vocal ? Comment ça marche ça encore ? La petite flèche, je suppose ?
"Salut Siam, je me suis dit que ce serait cool qu'on puisse parler ... Bah en dehors des cours quoi. Du coup voilà. Sache que tu es super bien cachée sur Insta c'était dur de te trouver. Bref, bye !"
D'accord. Et moi je fais comment pour envoyer un message vocal ?
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
En fait c'est super pratique Instagram ! Enfin c'est pratique quand on a des amis, ça ne m'aurait pas trop servi l'année dernière ... Mais quand même !
Et maintenant il est ... 1h00 du matin. Je m'y attendais un peu. Et le pire c'est qu'il me reste plein de choses à faire. Ma psy ne valide pas trop que je me couche si tard mais elle est contre presque tout ce que je fais. Et j'ai rendez-vous avec elle dans à peine plus d'une semaine.
Mais le pire reste que c'est le rendez-vous de bilan. Et rien que penser à tout ce que mes riches géniteurs pourraient faire me terrifie.
VOUS LISEZ
Nos cœurs capricieux
RandomEvan est un adolescent normal. Il a des rêves plein la tête, des tonnes d'amis, et le mental d'acier qu'il garde sur le terrain de basket lui promet un brillant avenir. Jusqu'à ce qu'il n'en ait plus. Après deux jours à l'hôpital, Evan s'ennuie plus...