- Hey ma petite Siam !
- Tu es de bonne humeur aujourd'hui, ça fait plaisir à voir.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Je ne sais pas ... Ton entrée en trombe et le ton le plus enjoué que j'aie entendu depuis des mois peut-être ?
- C'est que j'ai eu de bonnes nouvelles ! J'ai vu mon médecin et il m'a dit que mes kystes n'étaient plus un danger. Je sors dans quelques jours !
- C'est génial, il faut prévenir Evan et Victor !
Alors qu'on marche vers la chambre d'Evan, Adina me partage son excitation quant à sa sortie. Je ne l'ai jamais vue aussi heureuse. En passant par l'accueil du bâtiment je contemple les éclairages qui commencent à s'installer à l'approche de Noël. Je suis déjà dans cet hôpital depuis trois mois, le temps passe vite ...
- Salut vous deux, j'ai une super nouvelle pour vous. Je sors dans quelques jours.
Contrairement à ce à quoi je m'attendais, aucune réaction de la part des garçons, qui restent tous les deux immobiles, assis sur le lit.
- Bah alors, c'est quoi cette mine chouineur ? T'es triste que ta bonne copine Adina s'en aille ? Je passerai vous voir, vous inquiétez pas.
- C'est pas ça Adina, commence Victor en levant la tête vers nous. La tumeur d'Evan a grossi, c'est un cancer de stade 3 maintenant.
Le silence s'abat sur la petite chambre, effaçant le sourire d'Adina, qui faisait pourtant tant de bien à voir.
En soi ce n'est pas si étonnant. J'ai remarqué qu'Evan avait l'air de moins bien respirer ces derniers temps. Il est même presque incapable de monter des escaliers. Evidement il ne nous le dit pas mais j'ai bien vu qu'il prenait l'ascenseur, ce qu'il ne faisait jamais avant.
Sa tumeur doit être trop grosse maintenant et obstruer ses conduits respiratoires. Et c'est une très mauvaise chose.- A ta tête, Siam, je sais que ton esprit mathématique s'est encore mis en route et tu penses probablement que ma trachée est bouchée par la tumeur, ce qui a causé les difficultés respiratoires que tu as évidement remarqué. Mais ce n'est pas ça, c'est bien pire. La tumeur commence à attaquer mon cœur, ce qui le fait ralentir ...
- Rendant la respiration plus difficile. Mais c'est horrible !
- Disons que c'est pas la nouvelle la plus réjouissante que j'ai eue. Le Docteur Cox m'a fait commencer la chimiothérapie malgré le danger pour ma santé et je sais que tu vas être énervée parce que tu penses qu'un traitement ne devrait pas comporter des risques aussi importants pur la santé mais ...
- Au contraire, je suis totalement d'accord avec ton médecin. Je n'aime pas me dire que ton traitement pourrait te tuer mais on sait tous les deux ce qu'il se passera si tu ne fais rien.
De nouveau, plus un bruit. Nous restons ainsi de longues minutes, incapables d'ajouter quoi que ce soit. Puis Evan doit partir pour première session de chimio et, bien qu'on ait insisté pour venir, il préfère y aller seul, laissant le groupe se disperser.
N'ayant rien à faire, je déambule simplement dans les couloirs, laissant mes pensées dériver au rythme de mes pas. Les escaliers m'étant désormais interdits, je brûle la même quantité de calories en vingt aller-retours entre ma chambre et celle d'Evan. Quelle perte de temps ...
En plus je n'ai pas beaucoup de temps devant moi, je suis censée manger dans une demi-heure et à partir de ce moment-là je serai obligée de rester dans des coins isolés de l'hôpital.Ou alors je pourrais perdre des calories plus tard et chercher des poids en plus à cacher pour la prochaine pesée. Si les médecins savaient combien je pèse réellement ils m'attacheraient à mon lit et me gaveraient comme une oie.
Cette simple idée suffit à me donner la nausée. Je n'ai pas besoin de leurs 5000 calories par jour, sans compter la sonde. 100 c'est largement assez suffisant, j'ai passé plusieurs mois d'affilée à manger même moins que ça et je me porte très bien. J'aimerais tellement partir en même temps qu'Adina, je vais si mal quand je suis à l'hôpital. Dehors c'était si bien, j'aimerais pouvoir passer toute ma vie comme ça.
Faire ce que je veux de mes journées, sans subir la pression de mes parents. Cette prison dorée est bien trop oppressante. Toujours être belle, se tenir droite, pas un gramme de trop, pas une note en dessous de 20, la perfection exigée dans tous les domaines ... Pour quelle récompense ? Un regard noir de mon père, ou les fameux 'tu peux faire mieux' de ma mère.
Même si je me sens très mal à l'hôpital, c'est déjà largement mieux que chez moi. Si on peut encore dire que c'est chez moi ...- Hey Sarah, t'es pas censée être dans ta chambre ?
- Je t'ai déjà dit d'arrêter de m'appeler Sarah. Même les médias l'ont compris, pourquoi pas toi ?
- C'est facile pour les médias après la crise que tu as faite à ce gala de charité l'été dernier. Moi je vis depuis toujours avec Sarah et ton nouveau prénom n'est même pas officiel.
- Je sais, c'est juste que Siam c'est beaucoup plus joli. Tant qu'à changer de visage, autant changer de prénom aussi.
- Si tu veux. En attendant, tu n'as toujours pas répondu à ma question. Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu as oublié tes horaires de repas ?
- Je n'ai pas faim.
- Mais tu n'as pas le choix. Et puis tu dis toujours que tu n'as pas faim alors ça n'a aucune valeur. Je peux te promettre que ton corps ne demande qu'à manger. Allez viens, je te ramène à ta chambre.
- Non ! S'il-te-plaît ! Je te promets que je n'ai vraiment pas faim. Je peux te le jurer !
- Arrête de crier Siam, ça ne sert à rien. Même si tu n'as pas faim, tu dois manger. Il suffit de te regarder pour le savoir.
- Victor, s'il-te-plaît, fais plaisir à ta grande sœur. Si tu me laisses rater le repas sans rien dire je ferai ce que tu veux.
- Ce que je veux c'est que tu manges. Ne me force pas à te traîner jusqu'à ta chambre.
Je suis incapable de débattre plus longtemps, la gorge nouée par les larmes qui luttent pour couler. Pourquoi est-ce que personne ne me laisse faire comme je veux ? Pourquoi est-ce que je ne peux jamais décider pour moi-même ?
Je n'ai pas faim mais personne ne me croit quand je le dis. J'ai beau le crier haut et fort, on ne m'écoute pas.- Tu sais que ça ne sert à rien de faire le poids mort, tu pèses moins lourd qu'un enfant de huit ans.
- C'est faux ! Tu mens ! Je suis énorme. La plus grosse créature existante, je suis hideuse. Laissez-moi perdre du poids, c'est tout ce que je demande.
- Tu es loin d'être énorme, tu es carrément le contraire.
- Quelques minutes à la salle de sort avant d'y aller alors ! au moins ça ! Quelques tractions, quelques pompes ! Ça n'a jamais fait de mal à personne.
- Ne m'oblige pas à appeler les médecins.
- Non ! Ne fais pas ça ! Pourquoi tu ne m'aimes pas ? Si tu m'aimais tu me laisserais rater ce repas ! Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? J'ai toujours fait de mon mieux pour être une bonne grande sœur mais ça n'a jamais marché. Je suis la pire personne sur Terre. Je ne mérite même pas de vivre ! Pourquoi est-ce qu'on ne me laisse pas mourir ?
- Ne dis pas des choses comme ça Siam. Bien sûr que je t'aime et c'est pour ça que je veux t'aider. J'appelle un infirmier.
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Nos cœurs capricieux
RandomEvan est un adolescent normal. Il a des rêves plein la tête, des tonnes d'amis, et le mental d'acier qu'il garde sur le terrain de basket lui promet un brillant avenir. Jusqu'à ce qu'il n'en ait plus. Après deux jours à l'hôpital, Evan s'ennuie plus...