Chapitre 15

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- Hey mec, comment tu vas ? Franchement déso on pouvait pas venir plus tôt.

- C'est pas grave, personne n'a de temps à la rentrée.

- Ouais, on avait plein de matchs, presque trois par semaine.

- Nadel tais-toi il ne peut pas jouer depuis presque deux mois.

Je ne leur ai pas dit que j'étais sorti de l'hôpital pour un week-end, je ne voulais faire que ce qui me faisait plaisir pendant ces deux jours et je n'avais aucune envie de les voir. Il faut croire qu'ils ne tiennent qu'au garçon en bonne santé que j'étais. D'ailleurs je remarque qu'ils se tiennent à distance de moi comme si j'étais contagieux. Le pire c'est que je ne peux pas leur en vouloir parce qu'avant de venir ici j'étais exactement pareil.

- Mais du coup ils ont trouvé ce que t'as ?

- Cancer des poumons. C'est presque sûr que je vais faire une chimio mais je saurai cet après-midi.

- Trop cool ! T'as grave de la chance de pas aller en cours, notre classe est pourrie.

- Pourquoi t'ouvres pas un compte insta genre ''ce que ça fait de mourir'' ? Je suis sûr que t'aurais du succès.

- Ouais ce serait fun. Je crois ?

- T'inquiète, on rendra ton enterrement fun.

- Je vais pas mourir les mecs, les toubibs ont dit que c'était sûr que j'allais survivre à 90%. Tant que je ne fais pas de crise cardiaque ...

- J'imagine déjà le premier post du compte : une photo de tous les médocs que tu dois prendre. Légende : ''Mon assurance vie''.

Ils n'ont pas l'air de réaliser à quel point la vérité qu'ils énoncent est cruelle. Les larmes luttent pour couler mais je ne peux pas pleurer devant Nadel et Lassana.

- Beurk !

Je me retourne après le cri de dégoût de mon ami qui pointe la porte. Siam se tient dans l'entrebâillement avec l'expression la plus blasée et déçue que j'ai jamais vue.

- Mais quel accueil ! Je devais aller voir Victor de toute façon. Je repasserai.

Elle fait demi-tour mais j'ai le temps d'apercevoir une larme au coin de son œil.

- Elle me dit quelque chose cette fille. Une de tes anciennes conquêtes ? Je savais pas que tu draguais les futurs cadavres.

- Mais tais-toi bon sang ! Depuis que vous êtes arrivés vous n'avez pas arrêté de faire des blagues sur la maladie. Oui peut-être que je vais mourir, mais ça ne veut pas dire que je prends tout ça à la légère.

- Hey calme toi Evan ...

- Mais cassez-vous ! BARREZ-VOUS !

Ils m'obéissent et je cours rejoindre Siam dans la chambre de Victor. Je trouve qu'elle sur-réagit un peu. C'est vrai que Nadel et Lassana ont dit des trucs horribles mais de là à pleurer ? Enfin je dis ça mais j'ai dû lutter contre les larmes aussi.

- Salut Victor. Siam, qu'est-ce qu'il se passe ?

- Je connais ces gens. Je ne connais leurs visages que trop bien.

- Comment ça ?

- Quand je t'ai vu la première fois j'ai eu un doute mais je l'ai vite écarté. Tu étais bien trop gentil pour avoir fait une chose pareille. Tu ne ferais pas autant de mal à quelqu'un. Mais maintenant c'est clair que si.

Victor, qui essayait jusqu'ici de comprendre le sens de cette conversation, se redresse.

- Ne me dis pas que ...

- Si, Victor.

- Mais expliquez-moi !

- Regarde bien mon visage. Tu vois cette perfection ? Ces traits délicats, si bien dessinés ? C'est le travail des meilleurs chirurgiens esthétiques du pays. J'ai toujours refusé d'avoir recours à ce procédé. Mais quand j'ai été tabassée par mes harceleurs, l'année dernière, jusqu'à ce que mon visage soit méconnaissable, je n'ai pas eu le choix. Tu te souviens probablement de Sarah Châtelet ?

Non, c'est impossible. Je ne me rappelle que trop bien de Sarah, cette fille que tout mon groupe et moi avons harcelé pendant plusieurs années. J'agissais sous la pression des autres, ma popularité comptait trop et je n'avais jamais parlé à cette fille.

Et maintenant elle fait partie de mes meilleurs amis. Je ne m'en étais même pas rendu compte. Tout est à cause de moi. J'essaie de l'aider à aller mieux, à guérir, mais sa maladie c'est moi.

- Je ferais mieux de partir. Je suis vraiment désolé.

***

Je n'ai pas parlé à Siam depuis deux jours. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi mal et pourtant j'ai fait deux crises cardiaques. Vu jusqu'où c'est allé, on aurait aussi bien pu la tuer. C'est cette pensée qui me hante, l'image tout droit sortie de mon esprit de son cadavre brûlant dont les yeux encore grand ouverts me fixe, accusateurs.
Cette image est d'autant plus réaliste qu'elle est inspirée de tous les corps inertes que j'ai vu ces deux derniers jours. Je passe mon temps aux urgences à regarder les aller-retours des patients et soignants. Depuis le mur auquel je suis adossé, au bout d'un couloir pile en face de la porte coulissante en plexiglas, j'ai une vue imprenable sur les gens qui arrivent en ambulance.
La dernière en date amenait un petit garçon d'environ six ans qui faisait une crise d'asthme violente.
Une autre arrive à peu près une heure plus tard, les gyrophares sont allumés. J'entends le brouhaha habituel et l'ambulancier qui tente désespérément de surmonter le vacarme pour informer ses relayeurs de la situation.

- Clément Letellier, seize ans, mucoviscidose.

Quoi ? Mais c'est mon Clément ça ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Je m'approche pour mieux entendre l'ambulancier.

- Il a fait un arrêt.

Arrêt cardiaque ? Comme moi ? Mais il va s'en sortir au moins ? Trop de questions, pas assez de réponses. Il faut que je prévienne Adina et ...
Mes pensées elles-mêmes s'arrêtent le temps que je soupire. Je dois prévenir tout le monde.

Nos cœurs capricieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant