- Eh bien, c'est la mode d'avoir des tubes dans le nez ?
J'adresse une moue blasée à Adina, ne trouvant pas très drôle d'avoir besoin d'une canule pour respirer. Mon état s'aggrave de jour en jour mais on ne peut rien faire sans ma mère, qui ne compte visiblement pas venir. Siam, assise à côté de moi, n'est pas non plus d'humeur pour l'humour de notre amie, trop occupée à chercher une solution pour m'aider.
- On enterre quelqu'un ou quoi ?
- Je sais que tu dis ça pour rire mais le fait est que l'enterrement de Clément a lieu en ce moment-même donc techniquement, la réponse est oui.
- Petit génie, toujours ici pour nous rappeler ce genre de détails qui font plaisir.
- Tu trouves que c'est un détail ?
Une embrouille à laquelle je suis incapable de prendre part commence, restant dans mes pensées, le regard dans le vague. Depuis combien de temps Clément portait-il une canule ? Si ça se trouve je serai bientôt mort. Si c'est le cas, j'aimerais que ma tombe soit proche de la sienne.
- Hey, calmez-vous toutes les deux ! lance Victor en entrant dans la pièce. Et Evan, souris un peu. C'est Noël aujourd'hui, donc on est gentils les uns avec les autres.
- Qu'est-ce que ça change que ce soit Noël ? On est à l'hôpital, c'est un jour comme les autres.
- Faux. Aujourd'hui il y a moins d'infirmiers et le repas ce midi est plus copieux.
- Peu importe, ce n'est pas comme si on allait recevoir des cadeaux.
- Tu reçois des cadeaux chaque année toi qui vis seule ? Et puis même, Noël n'est pas par rapport à ça, c'est une journée où chacun contribue à mettre de la bonne ambiance dans son entourage. Donc exactement le contraire de ce que vous étiez en train de faire.
Chacun se force à sourire, sans même essayer de paraître crédible.
- Et Adina, tu as expliqué à Siam et Evan pourquoi tu es de mauvaise humeur ?
- Parce que toi tu le sais peut-être ?
- Figure-toi que j'ai passé plus d'un mois dans cet hôpital et que je me suis fait des amis aussi. Tes cris étaient audibles à dix mètres à la ronde.
Adina se tait, soupire, se résigne. Elle se tourne vers nous, essayant de garder son visage neutre, de ne laisser passer aucune émotion malgré la tristesse évidente qui l'envahit. J'ai toujours été doué pour décrypter les émotions des gens.
- J'ai vu mon médecin et il m'a dit qu'en fait il s'était trompé de dossier et que je ne sortais pas. D'ailleurs il a profité de l'occasion pour se moquer de moi, comme si c'était évident que ne pouvais pas sortir sans opération à risque.
- Oh non, désolée pour toi Adina. Pourquoi tu ne l'as pas dit plus tôt ?
- Je me suis dit que les tubes dans le nez de chouineur étaient plus importants et que vous le comprendriez par vous-mêmes.
- Vos problèmes sont aussi importants l'un que l'autre. Bon, moi je vous laisse, j'ai rendez-vous avez la psy.
Siam se lève, me donnant l'occasion de voir combien son corps a encore maigri. A chaque fois que je me dis qu'elle ne peut pas être plus maigre elle le devient.
- Elle m'inquiète, articule simplement Victor, brisant le silence après ce constat commun.
- Il faut qu'on fasse quelque chose. En plus je suis sûre qu'elle fausse ses pesées, elle sait utiliser son cerveau à son avantage.
- Je ne comprends pas comment elle peut s'infliger ça. Je veux dire, ça doit faire mal à ce point-là, non ?
- Je pense que c'est mentalement que c'est le plus difficile pour elle. De toute façon on ne peut rien faire tant qu'elle n'a pas réalisé qu'elle est malade et qu'elle doit aller mieux. Sinon elle se bat avec la maladie et nous contre. On ne peut pas gagner à sa place.
- Et comment lui fait comprendre ça ?
- On la laisse faire en espérant réussir à la garder en vie d'ici-là.
***
'Coucou Maman. J'imagine que tu es fâchée à cause de la fugue mais là il faut vraiment que tu viennes. Le Docteur Cox a réussi à faire en sorte que je fasse une session de chimio pour voir comment ma tumeur réagit mais on ne pourra rien faire après sans que tu sois venue donner ton accord en personne. C'est littéralement une question de vie ou de mort.'
Un énième message envoyé à ma mère. Je parle probablement à un mur mais il faut vraiment qu'elle fasse quelque chose. Le Docteur Cox m'a dit que dès qu'elle me répond, sans attendre d'avoir de rendez-vous, je dois le prévenir. Et honnêtement je comprends sa précipitation.
Ma respiration est de plus en plus difficile, et presque impossible quand je ne porte pas ma canule. Même mes doigts commencent à devenir bleutés, ce qui n'annonce rien de bon. Chaque mouvement entraîne un pic de douleur dans toute ma cage thoracique, sans parler des courbatures après avoir simplement marché.
Jusqu'ici je me sentais bien, la maladie ne prenait pas trop de place puisque j'étais déjà à l'hôpital, mais dernièrement elle est devenue beaucoup plus présente, surtout maintenant que la chimio commence à se faire sentir.- Chouineur viens voir, les parents de Siam sont à la télé.
Adina m'entraîne derrière elle sans se rendre compte de l'effort physique intense qu'elle me demande. Heureusement je tiens le coup jusqu'à sa chambre, rejoignant Siam et Victor qui fixent l'écran, et indirectement leurs parents, du regard le plus mauvais que j'ai jamais vu.
'Nous avons jugé nécessaire de les installer dans une clinique spécialisée, en espérant que ça les aidera à aller mieux.'
La femme, qui jusqu'ici parlait, essuie ses larmes avec un petit mouchoir coloré sorti de nulle part, laissant la parole à son mari.
- Hypocrite !
- Ce sont des larmes de crocodile pour être plus convaincante !
'Nous essayons au mieux d'identifier les causes de ce mal-être. Nos employés, par exemple, sont actuellement passés au crible.'
- Eteins Adina. S'il-te-plaît, je n'en peux plus de les voir jouer la comédie.
- Ils sont très doués.
- C'est leur métier, leur vie complète en fait. Faire semblant, toujours.
Ne sachant pas quoi faire d'autre, je pose simplement ma main sur l'épaule de Siam en signe de soutien. Je ne suis vraiment pas doué. Je dirais bien que j'ai perdu ma sociabilité mais c'est juste qu'avant je n'avais pas à aider les gens à faire face à des situations aussi étriquées.
- Bon allez les enfants vous me laissez ma chambre s'il-vous-plaît. Et souriez c'est Noël. Pas vrai Victor ?
Après un regard réprobateur en direction d'Adina, je me lève et m'en vais.
Surtout aie l'air normal Evan. Tu es en pleine forme. Ce pic de douleur est dans ta tête.
Et pourquoi est-ce que ma vision se brouille ? Un acouphène prend place au creux de mon oreille alors que le monde se met à tourner autour de moi. Je ne sens plus mes jambes, ni mes bras, ni n'importe quelle partie de mon corps en fait.
Mon univers s'effondre, ma tête heurte le sol, un choc résonne dans ma poitrine mais ça fait longtemps que je ne respire plus. Des sons me parviennent, des voix je crois, on secoue mon corps inerte.
Je suis incapable de bouger ou de réagir. Une alarme résonne, stridente, écorchant mes oreilles à mesure qu'elle s'intensifie.
Je sais que dans quelques secondes je serai inconscient. Quelques secondes plus tard mort peut-être.Qui sait ?
VOUS LISEZ
Nos cœurs capricieux
RandomEvan est un adolescent normal. Il a des rêves plein la tête, des tonnes d'amis, et le mental d'acier qu'il garde sur le terrain de basket lui promet un brillant avenir. Jusqu'à ce qu'il n'en ait plus. Après deux jours à l'hôpital, Evan s'ennuie plus...