Chapitre 3

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 - Bon, je dois y aller mon chéri, je suis sûre que tes amis vont passer pour te tenir compagnie. Je t'aime !

 - Moi aussi je t'aime. A plus Maman.

Et elle part en claquant la porte à la volée. Je me sens si seul ... Aujourd'hui c'est la rentrée alors Nadel et Lassana ne pourront pas venir me voir. Et en me faisant rater ma première journée de Première, cette maladie ou ce ... Bref ce truc empiète officiellement sur ma vie.

Je me rappelle quand on s'est rencontrés avec les gars. On entrait en Sixième, on ne connaissait personne. Moi je jouais déjà au basket et eux non, du coup au début de l'année je les ai snobés. J'étais déjà populaire, je l'ai toujours été, mais ça m'a brisé le cœur quand j'ai vu que les gens embêtaient Lassana parce qu'il était noir. Du coup je l'ai défendu et il a insisté pour me remercier en me laissant manger avec lui et Nadel, alias le petit gros de la classe à l'époque. Evidemment il ironisait vu que, et ça me brise le cœur, ça me saoulait de manger avec eux, ça allait ternir mon image aux yeux des autres et tout ça.

Mais il voulait vraiment me remercier et j'ai accepté. Et après on est devenus inséparables, mais les gens me détestaient. Alors je les ai convaincu d'intégrer l'équipe de basket et de faire notre première grosse connerie pour faire un peu remonter l'estime des autres pour nous. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que je ne le faisais plus pour "moi" mais pour "nous". J'étais trop content.

Du coup, en pleine nuit, découvrant au passage que la police patrouillait dans les rues de Clermont-Ferrand tant que le soleil n'était pas levé, on a escaladé les grilles du collège et on est entrés, habillés tout en noir comme dans les films. On a tagué nos noms sur les mur du préau, à la vue de tous. Evidemment, dès le lendemain, on a été convoqués chez le directeur et on a dû l'effacer mais notre plan a marché, on était les stars du collège.

On a fait beaucoup de chemin depuis ... J'arrive même à rire en repensant à toutes ces fois où on s'est faits convoqués ou exclure parce qu'on avait enfreint le règlement. Ils auraient mieux fait de nous exclure définitivement, du moins, ça aurait été plus simple pour eux.

Mais aujourd'hui, pour la première fois depuis 5 ans, je ne fais pas ma rentrée avec eux. Je me demande quand je vais sortir. Ou si je vais sortir.

Le médecin devrait m'aider à savoir cet après-midi. Ou vue l'heure ... Il y a 5 minutes ! Faut vraiment que j'arrête de me perdre dans mes pensées, ça me fait oublier que j'ai pas toute la vie devant moi pour penser.


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 - Je suis vraiment désolé, j'ai pas vu l'heure passer !

 - C'est original pour un garçon qui disait s'ennuyer comme un rat mort.

 - Je suis désolé je ... Je me suis endormi.

 - Ne t'inquiète pas. La prochaine fois ne cours pas, c'est peut-être mauvais pour ton cœur.

 - Mon cœur tout pourri ... Vous savez ce que j'ai ?

 - Tu ne veux pas attendre ta mère ?

Punaise sa tête est trop marrante, j'ai juste envie d'exploser de rire. Il penche la tête sur le côté dans l'attente de ma réponse, ce qui rend son visage encore plus hilarant. Allez, concentre-toi Evan, arrête de rire.

 - Elle ne viendra pas, elle a eu un imprévu au travail elle ne peut vraiment pas annuler. Elle est trop bizarre. Bref, dites-moi.

 - Je suis désolé mais on va devoir faire d'autres tests.

 - Mais j'ai rien je vous dit ! C'est pas compliqué, mon cœur ma fait un coup bas, il s'est arrêté, et maintenant tout va bien.

 - Ce n'est pas si simple. Ton cœur ne peut pas faire de "coup bas".

C'est guillemets avec ses doigts étaient si condescendants. Je déteste vraiment ce médecin alors qu'il ne fait que son travail. Et puis il y a deux minutes j'étais mort de rire rien qu'à voir sa tête. Faut vraiment que j'arrête de divaguer.

 - ... Et puis ton va commencer à prendre du Vaporexol 1000 tous les matins d'accord ? Tu as retenu tous les médicaments à prendre ?

Mince, à force de penser j'ai pas entendu ce qu'il a dit.

 - Je m'en souviendrai pas tout seul donc demandez aux infirmiers de mettre ... Je sais pas moi, un post-it avec les doses et les heures.

 - D'accord Arthur.

 - Evan

 - D'accord Evan.

On s'apprivoisera mutuellement, j'en suis sûr. Ce n'est qu'une question de temps. Non  mais qu'est-ce que je raconte, je ne resterai pas longtemps dans ce trou à rats, c'est mort. On n'aura pas le temps de s'apprécier.

 - Tu peux partir.

 - Merci. Une dernière question : pitié dites-moi que je peux retirer cette horreur de blouse !

 - Pas après la fin des visites. Et pas avant la fin de la semaine, aussi.

Qu'est-ce que ça me saoule ! Je comprends même pas pourquoi ils me forcent à la porter. Bon je dois vraiment y aller en plus cette salle pue, c'est l'odeur naturelle de mon médecin. 

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Nadel et Lassana sont probablement encore au lycée. Je me sens délaissé. Surtout que d'habitude ma mère est là mais elle a encore eu une urgence au travail. Je savais pas qu'on pouvait avoir autant de travail en étant prof de collège. Enfin bon, qu'est-ce que j'en sais ? Franchement faut que je me trouve un truc à faire parce que je sais très bien que ce sera pas la dernière fois que je serai seul dans cet hôpital.

Mais qu'est-ce que je raconte ? Je sortirai bientôt. Je rejoindrai bientôt tous ces gens dans la rue qui marchent, courent, dansent, crient, rient, profitent de leur journée. Ils rentrent de cours ou du travail. Ils sont dans leur vie normal, elle reprend comme la ville reprend vie à mesure que l'heure de pointe approche et je me surprends à les observer, à profiter de leur joie de vivre tant que je le peux. J'ai si hâte de les rejoindre ... Si un jour ça arrive.

D'une seule personne dans la rue cette joie de vivre ambiante n'émane pas. Une jeune fille aux cheveux bruns coupés au carré, elle a du charme avec son air triste. Seulement en l'observant je sais qu'elle est le cliché parfait de la fille du fond de la salle, celle qui n'a pas vraiment d'amis mais que ça n'a pas l'air de déranger, typiquement le genre de fille qui me laissait indifférent il y a quelques mois, j'étais trop occupé à enchaîner les conquêtes. En fait, j'étais aussi un cliché. J'étais le populaire. C'était moi, le gars le plus populaire de mon lycée, champion de l'équipe de basket, qui séchait les cours de temps à autre et qui organisait quelques soirées. J'étais le garçon au passé douteux de bad boy, qui avait toujours ses deux potes avec lui. Personne ne pouvait m'attaquer, toutes les filles me couraient après. Toutes sauf elle. La timide du fond de la classe.

Et honnêtement, je m'en fichais royalement. Je serais même incapable de dire si j'ai déjà vu cette fille qui aujourd'hui, statique dans la rue, fixe l'hôpital d'un air apeuré. Ou bien triste ? Ou alors honteux ... Impossible de le dire.

Elle reste encore immobile, sans rien dire ni faire, pendant quelques secondes, puis un bus passe derrière et elle se met à courir, elle le ratera sûrement. Et moi je continue de fixer la rue, presque indifférent à ce court laps de temps où l'univers s'est arrêté pour me laisser réfléchir. La vie est là, de l'autre côté de cette vitre. Et cinq étages plus bas.

Nos cœurs capricieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant