Chapitre 7

25 2 0
                                    

Enfin le Docteur Jemenfiche m'a donné rendez-vous pour me donner les résultats de mes examens de contrôle. Selon lui, ou plutôt selon l'infirmière qui est venue me rapporter ses paroles, si les tests se révèlent normaux, ce qui a beaucoup de chances d'arriver, je pourrai sortir ce soir. Enfin ! Je pourrai revoir Nadel et Lassana, retrouver ma popularité, le terrain de basket et toutes mes conquêtes. J'ai tellement hâte d'avoir les résultats que je sautille presque sur la chaise en plastique de la salle d'attente. Il met vraiment un temps fou à venir.

 - Calme-toi mon chéri, on a cinq minutes d'avance.

Je sais mais c'est si long. Trop long, beaucoup trop long. Je me lève, marche, tourne en rond, puis je me cogne contre un corps. Et en reculant je me rends compte que c'est celui du Docteur Viveleretard. C'est pas trop tôt !

Il nous fait entrer dans son bureau, qui est toujours aussi gris et terne. Un ou deux dessins ont été ajoutés depuis la première fois que je suis venu. Alors que, assis à son bureau, il commence ses habituelles courbettes, je contemple le pli dans le papier blanc qui orne le lit d'examen au fond de la salle. Un coup de coude de ma mère m'indique qu'il en vient enfin au fait. Je lui ai demandé de me faire ce genre de signe, elle sait à quel point je me fiche des formules de politesse de Monsieur Jeprendsmontemps.

 - Je suis désolé, la dernière fois a probablement été source d'espoir pour vous mais je vais être obligé de vous garder ici encore quelques temps.

Je prends une grande inspiration pour me calmer. Il faut au moins que je le laisse s'expliquer.

 - Les derniers tests on montré la présence d'une tumeur au poumon. Elle pourrait être inoffensive mais nous devons vous faire passer une endoscopie bronchique et prélever un échantillon de tumeur afin d'être sûrs que ce n'est pas un cancer.

Cette fois je suis obligé de sortir de la salle pour ne pas coller mon poing dans la figure de Docteur Jebrisedesvies. Je fais signe à ma mère, qui s'apprêtait à se lever pour venir me chercher de rester assise. C'est dans ce genre de moment qu'il me faudrait un terrain de basket pour me défouler. 

Trouvant ma propre idée assez ingénieuse, je vais à la salle de sport de l'hôpital, heureusement ouverte, et utilise le tapis de course pendant plus d'une heure. C'est incroyable comme ça fait du bien. Evidement, de retour dans ma chambre, j'ai un message d'un dizaine de lignes de ma mère qui me donne la date du rendez-vous et qui passe beaucoup trop de temps à s'excuser de ne pas pouvoir rester. Je ne lui réponds pas et mets des alarmes pour chaque moment où je dois prendre des médicaments. J'ai juste envie de fixer la fenêtre, calé dans l'unique siège de la chambre. Ce matin j'ai envoyé un message à Nadel et Lassana mais ils ne m'ont toujours pas répondu. 

Je me sens si seul, cette solitude qui prend les gens aux tripes et qui les leur arrache. 

Quelques heures plus tard, je ne suis même pas étonné de voir encore passer cette fille qui fixe tous les jours l'hôpital en passant devant. Pendant la semaine qui vient de passer, j'ai développé une sorte d'obsession pour elle. Je me suis parfois posé la question de l'amour, après tout je ne sais pas comment on se sent alors si ça se trouve c'est simplement ça. J'ai bien vite écarté cette hypothèse, les seules filles avec qui je suis sorti pour leur physique étaient ... Disons qu'elles ne ressemblaient pas à cette passante. En fait, c'est juste que cette ado timide un peu bizarre qui fixe l'hôpital est la seule chose intéressante dans ma vie.

 - La seule chose intéressante dans ma vie, dis-je en soupirant, la gorge enrouée par des heures entières de silence.

 - Ah bah sympa mec ! me répond une voix que je connais bien à force de d'avoir repassé notre unique conversation dans ma tête des dizaines de fois. De quoi tu parles ?

Ainsi je raconte à Clément ce qui s'est passé ces derniers jours. Les rendez-vous avec le médecin, les potes absents, ma mère de moins en moins présente et je finis par la fille. 

 - T'es amoureux mec !

 - Non, pas moyen ! C'est juste que ... Cette fille c'est le seul témoignage que j'ai encore du monde extérieur. Alors c'est vrai, je m'accroche un peu à ça, ce dernier bout de normalité. En plus je peux pas tomber amoureux, j'ai déjà trop de petites amies !

 - J'en étais sûr ! Je savais que t'étais un tombeur !

 - Peut-être mais tu sais ... Je ne suis jamais tombé amoureux. Je ne sais même pas ce que ça fait ... Emotionnellement.

 - C'est la meilleure émotion du monde. C'est aussi la pire. Mais quand tu es amoureux, tu le sais. Tu en es sûr.

 - Alors là ... Raconte tout !

Il soupire.

 - Bon d'accord. Elle s'appelle ... Elle s'appelait Anne-Lise. Comme moi, elle avait la mucoviscidose, on s'est rencontré pendant un kiné respiratoire quand on était tous petits. Elle se moquait souvent de moi en disant qu'elle aurait une greffe de poumons avant moi et ... Désolé ... Et qu'elle irait faire le tour du monde. C'était son rêve. On ne s'est jamais vraiment dit qu'on était ... Enfin tu vois, mais on le savait tous les deux. Et un jour, on lui a annoncé qu'elle devait se préparer pour être opérée, des poumons étaient en route. Dès qu'on lui a dit ça, elle est partie pour le bloc. L'opération s'est bien passée et, quand elle s'est réveillée et que je suis passé la voir, elle m'a dit qu'elle avait raison depuis le début. Elle a aussi dit qu'elle m'attendrait pour partir faire son tour du monde. Quelques jours plus tard, elle est ... Elle est morte. Le greffon n'avait pas pris.

Nos cœurs capricieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant