Chapitre 26

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- J'ai peur pour lui.

- On a tous peur Siam, pas besoin de le signaler toutes les deux minutes.

- Désolée ...

Je n'arrive pas à m'en empêcher. J'aimerais tellement pouvoir aller voir Evan, juste pour savoir comment il va. Mais il est en réanimation et je ne fais pas partie de sa famille. Assise entre Victor et Adina sur des chaises en plastique inconfortables, la tête de mon frère posée sur mon épaule, j'attends.
Le temps semble s'étirer toujours davantage, rendant chaque minute plus longue que la précédente. Rongée par le doute et l'inquiétude, je ne prends même plus la peine de lutter contre les infirmiers qui viennent me chercher toutes les deux heures pour manger. Ma sonde tournant à plein régime depuis des heures ne me dérange même plus.

Victor consulte une nouvelle fois sa montre, me donnant l'occasion de voir que la vie d'Evan dépend des machines depuis maintenant 24 heures. Je suis exténuée mais hors de question de dormir. Mon frère fait simplement des siestes de quelques minutes. Adina, quant à elle, n'arrête pas de se lever, marcher, sauter, s'asseoir et recommencer, je ne sais pas comment elle fait pour avoir encore autant d'énergie après tant de temps.

- Vous pensez qu'on pourra assister à son enterrement ?

- Pourrait. Parle au conditionnel. S'il mourait, je pense que oui, on aurait le droit de venir. Mais ça n'arrivera pas.

- Désolée, je ne me soucie pas trop de la concordance des temps en ce moment-même.

- Ce n'est pas une question de grammaire, c'est une question d'espoir.

Le silence s'abat de nouveau sur nous. La montre de Victor bat la mesure, annonçant chaque nouvelle seconde d'un petit déclic. Vingt-quatre heures et une minute.

- Siam, c'est l'heure de ton repas.

Je me lève mécaniquement et suis l'infirmier à travers les couloirs. Je connais le chemin mieux que lui à force. Je termine mon repas sans y avoir accordé une seule pensée et entreprends de retourner dans la salle d'attente. C'est sans compter sur le corps que je percute de plein fouet à la sortie de ma chambre

- Victor ? Qu'est-ce que tu fais là ?

- Le père d'Evan est venu avec sa fille et Adina était énervée qu'il ait le droit de voir Evan et pas nous donc elle m'a dit de partir et me voilà.

- Ils ont laissé entrer son père ? Il le connait depuis moins longtemps que nous, ça n'a aucun sens !

- Je sais, j'étais aussi surpris que toi. Le pire c'est qu'il a laissé la petite dans la salle d'attente avec la mère d'Evan.

- Et sa mère est là aussi ? Il faut que j'aille la voir.

Ignorant les protestations de Victor, je me lève avec détermination et rejoins une fois de plus cette fichue salle d'attente. Arrivée sur place, les deux adultes sont ensemble, en train de s'embrasser.

- Excusez-moi, j'espère que je ne vous dérange pas. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais votre fils est peut-être en train de vivre ses derniers instants de l'autre côté de cette porte et vous, vous faites votre vie à côté comme si de rien n'était ? Franchement à votre place j'aurais honte.

Et dire qu'à la base je voulais venir soutenir la mère d'Evan, je pensais que c'était une épreuve difficile pour elle. On peut dire que j'avais tort.
Mon téléphone vibre dans ma poche, un message de Victor.

'Viens dans la chambre d'Adina, j'ai besoin de ton aide'

Pas besoin d'en dire plus, je débarque environ une minute plus tard dans le couloir menant à ma destination, arrêtée par mon frère sous les cris d'Adina et d'une autre personne dont je n'ai jamais entendu la voix.

- Qu'est-ce que c'est que tout ce bruit ?

- Une femme enceinte est arrivée dans la chambre et elle a voulu commencer à parler mais Adina lui a sauté dessus avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit.

Encore des problèmes ?
Je soupire, résignée, et entre dans la chambre pour tomber sur Adina en train de tirer les cheveux d'un femme enceinte d'environ sept mois, qui lui rend la pareille. Je lance un regard à Victor et, d'un commun accord, on s'interpose et les sépare.

- Traitresse ! Tu viens implorer ma pitié ? Tu peux te la mettre où je pense !

- Adina, écoute-moi avant de dire des choses comme ça.

- Ecouter ton plaidoyer larmoyant ? Hors de question ! Tout est de ta faute !

- Est-ce que quelqu'un ici veut bien m'expliquer ce qu'il se passe ?

Adina et l'inconnue se calment après le cri de détresse de Victor, ce qui ne les empêche pas de se lancer mutuellement un regard assassin.

- Cette femme ici présente est ma sœur, qui comme Siam le sait m'a abandonnée dès que je suis devenue un poids pour elle, alors que c'est elle qui m'avait forcée à fuguer quand on est devenues orphelines. Tu ne peux même pas imaginer ce que j'ai vécu à cause de toi sale trainée !

- Je peux vous donner ma version ? Je ne nie pas avoir été la pire des grandes sœurs dans le passé, j'étais jeune et bête.

- Et tu crois que ça excuse tout ?

- Je t'ai laissée parler jusqu'au bout, fais-moi la même faveur. Je tiens quand même à préciser que je ne t'ai pas non plus laissée toute seule dans la rue, je t'ai trouvé un endroit où vivre et où tu serais nourrie.

- Et violée.

- Et comment j'étais censée le deviner ? J'ai subvenu à tes besoins pendant plusieurs années, je suis entrée dans le monde de la prostitution et je n'en suis ressortie que très récemment, simplement parce que j'ai été jetée dehors quand mon patron s'est rendu compte de ma grossesse. Je ne te demande pas un hébergement permanent mais j'approche du terme et je ne veux pas que mon enfant naisse dans la rue. J'espère simplement que tu me laisseras dormir sur ton canapé jusqu'à ce que j'accouche et, s'il faut que je parte, je veux que tu gardes mon enfant avec toi pour qu'il ait une meilleure vie que celle que je peux lui donner. Tu sais à quel point je déteste les foyers et orphelinats.

- Oh je sais que tu détestes ça, ma vie entière a été gâchée par cette haine. Et puis tu crois que j'ai que ça à faire de m'occuper d'un enfant ? Tu sais quoi même pas besoin de me répondre, c'est hors de question.

Je suis trop fatiguée pour cette embrouille, mon esprit divague tant que j'ai du mal à suivre cette histoire, qui est déjà bien assez compliquée quand on a bien dormi la nuit précédente. Je m'échappe discrètement de la chambre où les cris ne sont pas près de s'arrêter.
Alors que je sors presque du couloir, je croise deux internes qui manquent de me renverser dans leur précipitation. Intriguée, je les suis du regard. J'ai toujours eu cette curiosité un peu trop débordante qui fait que la vue d'une ambulance me donne l'envie de connaître toute l'histoire et de suivre l'évolution des choses en temps réel. L'hôpital me permet d'assouvir ce souhait, et je ne m'en prive pas. J'ai entendu et vu des choses horribles mais à chaque fois que je vois un nouvel accident je ressens une satisfaction presque malsaine qui me plaît beaucoup.
Ce qui m'inquiète cette fois-ci c'est que les internes me font revenir sur mes pas, droit vers la chambre d'Adina. Je ne veux pas qu'on sache que j'ai suivi les deux jeunes hommes alors je n'entre pas dans la pièce et écoute attentivement la scène.

- Vous êtes bien Adina ? Qu'est-ce que vous faites encore ici ? Vous allez rater votre opération !

Encore une opération qu'Adina nous a cachée ? Surtout que les kystes qui lui restent nécessitent de lourdes interventions.

- Tu vois c'est encore de ta faute Hannah ! Si tu ne t'étais pas pointée comme ça je n'aurais pas oublié !

- Suivez-moi s'il vous plait.

J'entends du métal s'entrechoquant et un fortement de tissus, j'imagine qu'ils font monter Adina sur le brancard vide qu'un des internes poussait il y a quelques secondes. Un instant plus tard ils émergent de la chambre et entament le chemin inverse.
Je croise le regard de Victor, qui a suivi le cortège jusqu'à l'entrebâillement de la porte. Il est aussi intrigué que moi. Il semble fatigué aussi, aucun de nous ne dirait non à une bonne nuit de sommeil.

Mais ce n'est pas une option.

Nos cœurs capricieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant