Dans la gueule du loup

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Je me réveillai sous le rayon de soleil qui filtrait au travers de la fenêtre. Le haut du corps redressé, mes yeux parcoururent cet endroit inconnu, l'esprit perdu dans une brume de sommeil. En automatisme, je soulevai mon téléphone portable du sol pour regarder l'heure. L'horloge indiquait six heures trente. J'avais dormi dans son appartement... Je tournai la tête, mes émeraudes heurtées au vide de sa place. Pas de mot, rien. À quoi je m'attendais, maintenant qu'il avait obtenu ce qu'il voulait, je n'existais plus. Je remarquai tout de même la délicatesse, l'ensemble de mes affaires rassemblées sur une chaise en face du lit.

Une main sur le visage, je retins un soupir. À l'image d'une prostituée, je guettai presque l'enveloppe d'une poignée de billets quelque part, une attitude pas surprenante de sa part ; nous avions juste baisé sans attache, un simple service.

Une chaleur inonda cela dit mes joues lorsque les évènements de cette nuit irréelle me revinrent en mémoire, grâce à son odeur sur ma peau.

Je ne pouvais savourer la victoire de mes barrières abattues, Katchan formait ma seule pensée à cet instant, sa présence encore vive ; ses mains, son visage, ses lèvres en particulier, l'ensemble de son corps répondant au mien d'une façon aussi indécente qu'exquise...

Je devais partir au plus vite.

Je me levai déjà quand j'entendis les clés dans la serrure ; la seconde d'après, il apparut, un petit sac en plastique - des viennoiseries, si je me fiais à l'odeur - sous le bras.

Il se figea devant mon expression déconfite et m'observa de la tête au pied (comme s'il ne m'avait pas assez vu nu...) avant de me sourire.

- Je suis peut-être un connard, mais filer en douce n'est pas mon style, dit-il, en plus...

Il écarta les bras :

- On est chez moi.

Un lieu assez intimiste, contrairement aux apparences : une vaste pièce, délimitée en plusieurs coins, la porte de la salle de bain située au bout du couloir sur la droite de l'entrée mise à part. Elle se composait d'un salon, muni d'un canapé blanc, d'une table basse en verre, face à une large télévision encastrée, sous un meuble dernier cri où trônaient plusieurs consoles de jeux, ainsi qu'un ordinateur portable. Une étagère de divers livres et mangas formait un angle, une cuisine américaine aménagée avec soin, loin derrière. Une unique fenêtre longeant l'ensemble sur la gauche, les murs en briques rouges donnaient une allure à la fois rustique et séduisante à ce tout décoré sobrement.

Une baie coulissante se détachait du reste. Très à l'arrière, elle menait vers la chambre, agencée de manière que l'invité temporaire comprenne de lui-même son usage. L'éclairage tamisé au-dessus de la tête, à l'ambiance faussée, un lit de grande taille se tenait au centre, une gigantesque armoire, comme seul autre meuble. Le plâtre de couleur violette, synonyme de rêve et de solitude, achevait d'emprisonner la proie dans la cage du prédateur.

Cet ensemble écrivait un message limpide : ici, il contrôlait tout. Dès l'instant où ses « victimes » mettaient un orteil dans son domicile, elles se soumettaient.

- Petit déjeuner ? proposa-t-il en levant le contenant, j'ai du thé, du café, et tout ce qu'il faut pour un chocolat chaud, si tu veux. Mais tu préfères le salé.

Sa voix, cette intonation toujours aussi affirmative, me déstabilisa un peu, tant elle laissait entendre qu'il me connaissait depuis l'enfance. Il lisait vraiment en moi, ses paroles ne trahissaient pas le doute. Cela me désarçonnait, m'irritait qu'il fût capable de ce genre d'intrusion, ça n'augurait rien de bon, pour moi plus que pour lui. Son petit manège ne prenait pas de toute manière ; pourquoi tant de prévenance ? Sa longue liste inscrivait désormais mon nom, je n'avais plus de raison de rester.

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