Incompréhensions

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Je lâchai un soupir en entendant les deux coups discrets donnés à l'entrée de ma chambre. Ma présence au domaine familial si rare, elle ne passait pas inaperçue. En règle générale, l'on me laissait m'isoler à loisir, excepté cette fois, où quelqu'un brisait ce moment de solitude recherchée. Étrangement, je me doutais de la raison, aussi claire que je devinais sans difficulté l'identité de la personne à l'origine de cette perturbation.

Ma concentration fuyante rendait de toute façon impossible la lecture de mon livre, refermé en signe d'abandon. Par une simple directive, j'accordais l'autorisation de mon espace, jusqu'ici réservé à mon père et moi. Quelques secondes plus tard, une tête pratiquement inconnue apparut dans l'entrebâillement de la porte à peine poussée. 

- Tu as deux minutes ? s'enquit ma mère, la voix tremblante, j'aimerais discuter un peu avec toi, si tu veux bien.

J'opinai en silence, quelque peu étonné. De mémoire, c'était la première fois qu'elle tentait une manœuvre aussi frontale. Si elle s'entendait bien avec la fratrie, je subissais une légère différence de traitement, sans doute parce que je baignais dans l'aura paternelle sans discontinuer. La crainte que je ressemblasse à cet homme vivace en elle, elle redoutait presque de m'adresser la parole. Sa personnalité l'obligeait à toujours rester en retrait, et Fuyumi servait souvent de passerelle entre nous d'ordinaire.  

Elle s'approcha timidement, incertaine de son action, le cerveau nourri des secondes écoulées pour répéter un texte préparé au préalable. Le lit situé à côté du bureau pointé du doigt, elle attendit mon geste affirmatif avant de prendre place. Maintenant qu'elle se trouvait dessus, je réalisais que sa venue dans ma chambre constituait une image inédite.

Ses yeux gris parcoururent la pièce d'un regard triste, s'attardant un moment sur les murs blanc, dépourvu de toute décoration, à cause de mon père, déduisait-elle à cette seconde. Lorsqu'elle reporta son attention sur moi, l'étincelle du regret débordait tellement, que mon cœur se tordit de douleur.

- J'ai quelque chose à te demander, entama-t-elle.

La question devinée, je n'avais pas envie d'aborder le sujet qu'elle amènerait par la suite. J'aimais sincèrement ma mère, mais mon éducation m'empêchait de me tourner vers un membre de ma famille, en cas de problème. Cela ne me dérangeait pas tant que mon bouclier fonctionnait, puisqu'il me protégeait de ces éléments jugés parasites à une certaine époque. La tendance inversée aujourd'hui, due à cette chose grandissante, je ne me sentais malgré tout pas prêt à narrer ce qui se passait à l'intérieur de mon chaos. Il s'agissait là de mon intimité, un refuge beaucoup trop récent pour se partager.

Fuyumi le savait, et, bien que sûrement possédée par la même inquiétude, elle gardait ses distances, attendait avec patience et discrétion ma possible venue. Ma mère prouvait par ce comportement qu'elle ne me connaissait pas vraiment, malgré le sang, les traits physiques communs. Je ne lui en tenais cela dit pas rigueur, la création de ce décalage pas entièrement de sa faute.

Ma figure maternelle se racla la gorge, avant de revenir à la charge, d'un ton mal assuré :

- Qu'est-ce que tu as ? Tout le monde remarque que quelque chose te tracasse depuis plusieurs semaines.

Elle ne me laissa pas le temps de répondre et enchaîna :

- Fuyumi m'a déconseillé de venir te parler. Elle dit que quoiqu'il se passe en ce moment dans ta vie, à moins que tu ne demandes pas d'aide, je n'ai pas le droit de m'immiscer. Et peut-être... (Elle secoua la tête) Non, c'est même sûr, je ne suis pas la personne idéale, je n'ai pas ta confiance. Non pas que je la mérite, c'est évident, j'ai conscience...

Elle s'interrompit pour reprendre sa respiration.

- Peu importe. Je ne sais pas si je le peux, mais je suis ta mère, et je m'inquiète pour toi, mon fils.

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