Sans issue

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Je m'étais enfui à la fin des deux morceaux, en lisant la rage palpable dans les yeux de cet homme qui m'obsédait tant. Adieu, mon écran de fumée, ma fragile croyance que cette attirance sans nom s'arrêterait, notre moment ensemble achevé ; il se transformait en autre chose d'insidieux, paralysant ; ces odeurs imprégnées, ces souvenirs ancrés, cette chaleur brûlante, et ce cri uni m'encerclaient, mon esprit errant dans les limbes de ces rêves tantôt endormis, tantôt éveillés. Mon corps voulait frémir sous ses caresses expertes, fléchir à nouveau devant cette ivresse. Apprendre son fonctionnement ne lui avait pris qu'une nuit, et aujourd'hui, je ressemblais à un junkie à la recherche de sa dose.

Rien ne chassait le parfum de sa peau, l'insertion indésirable de son image dans tous mes actes quotidiens, à commencer par ma formation déjà compliquée au sein de la clinique Todoroki. Lieu sacré pour quiconque se destinait à la voie médicale, le privilège de ma sélection parmi la horde de candidatures s'effaçait, si bien qu'une semaine plus tard, plus aucune joie de cette chance inouïe ne me traversait. La concentration exigée, pourtant cruciale dans ce type d'investissement d'avenir devenait au fil des jours difficile, car verrouillée.

Ce cendré me parasitait du matin au soir, sans arrêt. Je haïssais me savoir marqué à ce point, convaincu d'avoir déserté sa mémoire dès mon départ ce matin-là. Il m'avait mis en garde, la raison de sa colère sûrement déclenchée parce qu'il associait ma foulée dans son terrain de jeu accompagné de quelqu'un à une provocation de plus.

Quelqu'un qui recevrait par ailleurs mes plus plates excuses, étant donné ma soudaine disparition. Comment justifier un tel comportement, quand la suggestion d'un peu d'air frais, après une semaine oppressante à évoluer dans une atmosphère hospitalière, venait de moi ? À ma grande surprise, mon superviseur avait accepté ; cette réponse pour le moins étonnante au vu de sa personnalité froide et distante, transperça d'un minuscule rayon de soleil mon ciel gris.

Notre marche nous amena devant la scène de ce bar maudit. Pourquoi, après tous ces efforts pour éviter cet endroit ? Absorbé par notre conversation médicale, je me rendis compte de mon inexplicable bêtise bien trop tard. Je croyais peut-être que le revoir signerait la fin de toute cette mascarade de non-sens, le charme évaporé dès le déclencheur sous mes yeux ; ma prétention s'évanouit une fois ma vision arrêtée sur lui. Il m'observait, le visage impitoyable, fermé, mon cœur accéléré tant par la peur que le feu propagé dans chaque fibre.

J'avais tenu bon jusqu'à la fin de la représentation, avant de partir sans un mot.

Plongé dans le silence de ma chambre d'étudiant, le regard au plafond, j'écoutais les battements de mon organe affolé, tambourinant son surnom.

Je tentais encore de me convaincre : tout ça ne mènerait à rien, s'éviter semblait le plus raisonnable, et pourtant...

- C'est moi que tu veux, acheva la voix de mon obsession, située non loin de mon lit.

- C'est toi que je...

Je souris, persuadé de rêver ; cela m'arrivait si souvent de m'évader, la frontière entre mirage et réalité n'existait presque plus. Ma vue se posa sur lui, ma risette élargie devant son illusion plus vraie que nature. Je devais avoir l'air ridicule à l'observer ainsi, mais j'étais heureux de ses visites chimériques, quelque part.

Qui sait, peut-être pensait-il à moi, lui aussi, espérais-je, avant de secouer la tête à cette idée saugrenue. Je m'égarais trop loin, depuis plusieurs jours, décidément. Il restait immobile, à quelques mètres du mur. Ses yeux brillaient, plus vifs que dans mes songes nocturnes, renforçant l'impression réelle de sa présence. Un autre détail me troublait : je le voyais vêtu des habits de ce soir, quand il apparaissait d'habitude dans le plus simple appareil, allongé à mes côtés.

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