L'orchidée

1.6K 145 198
                                    

Intrigant et fascinant ; ces adjectifs qualifiaient à la perfection un être tel que Shōto Todoroki. Sa voix forte, néanmoins douce, me berçait pendant ce voyage que représentait l'explication d'une intervention complexe. Il tournait les phrases de sorte à happer son audience, à l'écoute. La compréhension de la procédure d'ordinaire inaccessible pour ceux pas familier du langage médical, à portée de tous, le public buvait ses mots, suspendue à ses lèvres. Assuré, il ne regardait ni ses notes ni l'image retransmise par le rétroprojecteur, veillait à gratifier son auditoire d'une œillade amical. À l'écart, subjugué, je retenais presque mon souffle.

En l'écoutant, ma chance de faire partie de cet endroit béni me revenait.

Je connaissais de lui ce que tout le monde savait déjà : benjamin d'une famille de praticiens surdouée, son parcours forçait l'admiration ; doctorat en poche à quinze ans, il s'imposait comme le digne successeur de son père à dix-neuf. Avec l'aide du reste des membres de la fratrie, il gérait quasiment toute la clinique en l'absence du géant de la médecine.

Nous n'avions pas beaucoup échangé en dehors du sujet de mes études, mais j'espérais me rapprocher de lui, décelant quelque chose de spécial sous la surface lisse. Il dégageait une aura semblable à la mienne, celle des souffrances inaudibles, le quotidien hanté par cette pesanteur impossible à partager.

- Ce sera tout. Merci à tous pour votre attention.

Disciplinée, la foule se dirigea à pas lents vers la sortie de la salle de conférence. Certains le saluaient à distance, recevaient un signe courtois en retour. Des voix chuchotaient profond respect, ravissement, fierté d'avoir assisté à un spectacle, pareil à un tour de magie. Sur la scène, mon superviseur en blouse blanche sembla se détendre une fois ce monde disparu, et entreprit de ranger ses affaires.

Je me précipitai aussitôt vers lui.

- Vous m'avez impressionné, osai-je.

- Vous m'avez aidé à la préparation, nuança-t-il, en remettant ses documents dans son classeur, je vous ai monopolisé pendant deux longues semaines, alors que d'autres auraient pu effectuer ce travail à votre place. De plus, vous n'avez guère progressé par ma faute. J'ai failli au devoir de vous former.

Il semblait en colère, alors que j'avais bien plus appris pendant ce laps de temps que toutes mes années d'études réunies. En outre, cette requête avait eu le pouvoir éphémère de chasser mon obsession ô combien malsaine ; cela faisait une éternité que je ne me sentais pas aussi détendu, à nouveau concentrer sur les choses essentielles qui m'avaient fui. Je me réconciliai avec celui que j'étais, et rien que pour ça, il avait gagné mon entière dévotion. Trop pudique pour mettre mes pensées à nues, je me contentai de secouer la tête sans un mot. Malgré mes multiples injonctions, il refusait de me tutoyer, alors l'effrayer avec ma reconnaissance qu'il ne comprendrait pas, définitivement exclu.

Mon acceptation à cette assistance découlait surtout d'un besoin de repentance, de l'avoir abandonné sans rien dire, ce soir-là, deux semaines auparavant. La honte m'avait donné le tournis le jour suivant, où j'avais évité avec soin tout contact visuel, les souvenirs de ma débauche en mémoire. Les marques dissimulées, je prétextai un début de migraine en justification, persuadé qu'il décelait le mensonge, la faute à cette odeur dont je ne parvenais pas à me débarrasser. Je découvris cela dit au fil des heures en sa compagnie, qu'en plus de reprendre le contrôle de mon corps et mes pensées, seconder mon superviseur l'avait également atténuée, elle et mes tourments.

- Vous avez quartier libre demain, m'informa-t-il en fermant son porte-document. Sortez, aérez-vous, faites ce que bon vous semble, je ne veux pas vous voir à la clinique.

UnderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant