Le meilleur moyen de résister à la tentation

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Dix bonnes minutes que je l'observais draguer la proie sélectionnée pour la nuit. Accoudé au bar, il remuait des lèvres en face d'un homme de mon âge, brun au teint basané, la paille dans le verre d'un cocktail de couleur bleue, coincée entre des lippes fines et rose. Je m'efforçais de garder mon calme, feignant ne pas voir les œillades suggestives qu'il lançait à sa victime, s'assurant ainsi son contrôle durant ses heures de débauche à venir. J'étais curieux de savoir comment il s'y prenait avec ses capotes à usages uniques, comme il les appelait. Il devait mettre les choses aux clairs dès le début de la chasse, un discours dans ce genre :

« Salut, moi c'est Katsuki Bakugo ! J'suis un super coup, c'est le pied avec moi ! Quoi, tu l'ignores ? Viens que je te montre comment je joue de mon instrument, un vrai maestro ! Mais gare ! Pas d'attachement, coco ! Je suis un solitaire moi, OK ? »

Ou bien, il l'adaptait en fonction de la personne en face : si réceptive, aucune tentative de séduction n'était fournie, il la baisait, la jetait aussi sec. Certains pensaient susciter un intérêt quelconque, que j'imaginais purement physique. Commençait alors une sorte de duel à qui prendrait le dessus ; heureusement pour son ego caressé, c'était toujours lui, le dominant. D'autres, plus rares croyaient qu'il tomberait dans le piège de l'amour et pendant un infime instant, il entretenait l'illusion. Dans ce jeu qu'il avait lui-même inventé, il n'abdiquait jamais jusqu'à la victoire.

Excepté avec moi. Je n'avais rien de plus que ces mâles en rut qu'il utilisait et chevauchait à tout va ; pourtant, à chacune de nos interactions, il se laissait posséder, tout en me rappelant ensuite l'effet temporaire de cette faiblesse.

Je soupirai, fatigué de ne pouvoir le quitter des yeux. Je voulais simplement lui parler, il me suffisait de foncer droit vers lui, il m'accorderait l'autre moitié de son attention, assez pour ce que je comptais dire. Cependant, probablement parce que je désirais graver la finalité de cette fausse parade, je restai en retrait, me remémorant ce moment où tous les efforts, tous les conseils, ne servirent à rien.


J'étais incapable de me focaliser sur ce qui se passait autour de moi, les éclats de voix, les rires, les discussions de-ci, de-là, tout me parvenait dans un borborygme recouvert, indéchiffrable. J'arrivais même à faire abstraction de la brûlure des rayons chauds sur ma peau, en ce début d'après-midi. Rien ne m'atteignait, à cet instant, tout mon être concentré sur cette silhouette que j'évitais depuis six mois, aujourd'hui devant moi. Ses cheveux cendrés en batailles, ses yeux carmin, son impressionnante musculature affichée sans vergogne, tout chez lui donnait des complexes, suscitait le désir. D'autres avaient au moins la décence de dissimuler leurs torses sous un vêtement, à part cet idiot, bien sûr. Une provocation calculée, à laquelle je ne pouvais résister, mes instincts les plus pervers, que je croyais pourtant enterrés, réveillés par cette simple image.

Il ne perdait pas une miette de ma réaction, poussée à sa limite quand il recueillit du bout de la langue les restes de coca laissés sur ses lèvres avec une lenteur délibérée. Il s'amusait à mes dépens, l'imbécile. Je le détestais autant que je maudissais mon propre corps de la réponse immédiate qu'il envoyait.

Si Shōto ne se trouvait pas à mes côtés, à discuter avec mon âme sœur au féminin qui le harcelait de questions, la fuite aurait été une option. Néanmoins, trop conscient de cet effort incommensurable qu'il effectuait à ma demande, je me forçais à ne pas bouger. Mes yeux toutefois ne fixaient que l'homme en face de moi.

Je crus que le monde s'écroulait sous mes pieds, lorsque dans la petite foule, je reconnus sa silhouette élancée. Instinctivement, j'avais reculé, effrayé de retourner à cet état, dont je n'étais pas encore tout à fait sortit. En face de moi, un simple « Salut Deku » fut prononcé, mais je lisais dans son regard toute sa perfidie, son plaisir à peine dissimulé de me tourmenter. Une fois certain que je reçus le message de sa venue, il avait rejoint les autres membres du groupe, également présents.

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