Chant au clair de lune

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La crasse sur ma peau, à force de fondre, je l'observai, adorable dans cette position. Les traits apaisés, innocents, la respiration calme, il dormait à poings fermés ; il ne bougeait pas et moi, encore étourdi par cette ivresse partagée, je ne pouvais me résoudre à détacher les yeux de sa silhouette nue...


Je commettais une erreur en l'embrassant. Provocation calculée ou non, cette envie de le punir d'utiliser ce surnom qui me hérissait jusqu'à la racine des cheveux avait été plus forte que moi. Je réalisais à peine ma connerie, que déjà, je ne parvenais plus à m'arrêter de dévorer sa bouche. Je n'avais trouvé que ça, la faute à ces deux syllabes insupportables. Plus je les entendais, plus je me sentais prisonnier d'une chose incontrôlable, dangereuse. Je n'avais pas prévu, en revanche, que mon corps se transformerait petit à petit en explosif volcan, le feu bien vite déversé dans mes veines, engloutissant tout sur son passage, mes mises en garde comprises. Laisser ce nerd devant l'entrée de la boîte, retourner à mes petites affaires, la sage décision. Mon cerveau enivré refusa en analysant sa requête de venir chez moi. Peu importe la voix de la raison, je le désirais, les conséquences de ses mots à l'évidence mesurés cette fois.

Malgré tout, je n'aurais pas dû prendre sa main, pas plus qu'ordonné de monter sur ma moto après m'être installé derrière le guidon ; tendre un casque qu'il s'était empressé de visser, l'ombre d'une hésitation dans son regard passée, une mauvaise idée également. Les bras autour de ma taille, emprisonnée dans une étreinte farouche une fois à l'arrière, montraient sa détermination d'aller au bout de la folie que je devais représenter.

J'eus un mal de chien à me concentrer sur la route ; sa présence me troublait, sa nervosité tirait sur ma corde sensible, ses doigts sur mon torse, involontairement caressants, mettaient mon pote entre mes jambes à l'agonie. Le passager ne remarquait rien, perdu dans la frayeur de cette première à moto, mais j'aurais pu jouir si je ne m'étais pas mordu la lèvre à plusieurs reprises.

Comment parvenait-il à me faire autant d'effet, alors que je m'adonnais tous les soirs de mon adolescence à cette activité ? Rien ne me perturbait, une maîtrise à toute épreuve me caractérisait, un atout parmi d'autres dans ma manche ; seulement, mes repères s'ébranlaient depuis ce fameux soir et quelque chose me soufflait que ça n'allait pas s'arranger.

Arrivés, je restai à une bonne distance, attentif à ses gestes. Il pouvait encore fuir s'il le souhaitait, sans crainte de recevoir ma colère. Pendant un instant, je crus nos projets compromis, toutefois, il me suivit d'un pas décidé, la nervosité tronquée par une expression affirmée.

Mes mots en boucle dans sa boîte crânienne réunis en une assourdissante cacophonie freinaient l'initiative de le baiser dans l'escalier. Je dérogeai ainsi à la règle de me jeter sur ma proie à l'entrée de mon domicile, mais j'avais lu toute sa difficulté à être intime avec quelqu'un. Je ne voulais rien forcer, le choix lui appartenait.

Il prit le temps de contempler en silence l'appartement plongé dans la pénombre. Je n'osais même pas allumer, la lune projetait assez de son rayon.

Ce vaste chez-moi dont j'étais propriétaire paraissait l'impressionner. Grâce au petit pécule déjà constitué avant mon insertion dans la vie active, mes économies grandissantes au fur et à mesure des années, permirent l'acquisition de ce loft. Véritable coup de cœur situé à une dizaine de minutes de mon lieu de travail, il se révélait aussi pratique qu'agréable. Eijiro l'appelait la « Bak-room », en raison du nombre astronomique de culs culbuté ici, mais à mes yeux, c'était mon cocon solitaire avant tout.

- C'est joli, commenta-t-il.

Je haussai les épaules, indifférent. Ma vieille pie de mère s'était chargée de le décorer, puisque cela touchait son domaine d'expertise professionnel ; sous ma supervision, elle avait répondu à toutes mes exigences, sans oublier de réclamer un salaire en échange de ses services, car selon ses mots, « La famille et les affaires ne se mélangent pas. » Si au fond, j'approuvais cette devise, je ne digérai toujours pas d'avoir payé celle qui m'avait donné la vie.

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