Le vent du changement

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Il n'était pas dans son état normal.

Je le sentais à sa façon de me toucher, de m'embrasser ; il me laissait à peine reprendre mon souffle, mais ça n'avait pas d'importance. Oui... Oui ! C'était tellement bon, putain, ça m'avait manqué. Il m'avait manqué et l'admettre, même intérieurement, me tuait. Le nier davantage serait cela dit proche de la mauvaise foi, tant les preuves s'imbriquaient les unes aux autres. La plus parlante, mes pulsions les plus meurtrières en éveil : durant deux semaines, impossible de m'adonner à mon sport favori, mon pote, suspendu entre mes jambes, ne voulait pas.

Je me jetais sur mes proies dès l'escalier, les ramenaient jusqu'à mon appartement, le début classique. À partir du moment où je me retrouvais nu, prêt à consommer, les choses se gâtaient, il ne m'obéissait plus. Mes supplications, mes colères, mes fantasmes ne titillaient ni crainte ni curiosité, malgré l'inclusion de mon addiction dedans. Il souhaitait la vraie saveur, uniquement elle, pas une fade imitation, et cette profonde trahison m'enrageait.

Elle déboussolait mes certitudes, mon être entier, pas du tout familier avec le concept de l'abstinence. Le nombre de fois où je pouvais baiser dans une journée atteignait la dizaine sans effort. D'un coup, plus rien ne marchait, à cause d'un nerd qui me hantait, me soumettait comme une vulgaire petite chose sans défense. Je résistais encore à ce contrôle, mais le responsable avait toujours eu ce don d'épuiser mes forces à chaque rébellion. En outre, sans doute le pire, la distance n'aidait pas, le retrouver suffisait à enclencher le mécanisme, malgré l'évidence de notre incompatibilité. Nos âmes ne cessaient de s'appeler l'une et l'autre.

Eijiro continuait de me parler d'amour, mais je refusais d'ouvrir la porte à cette éventualité, synonyme de la fin. Je le pressentais, ce changement indésirable, les murs s'ébranlaient un peu plus à chaque interaction, allait finir par tomber, un jour ou l'autre. J'étais déjà foutu, contaminé par cette maladie, toutefois, pas question de rendre les armes aussi vite ; je comptais mener une lutte si épuisante qu'elle provoquerait sa reddition, non la mienne. La fuite infaisable, puisqu'elle ne me correspondait pas, ou se battre ou le suicide se présentaient comme les seules options à ce cercle brisé.

Je ris de cette idée farfelue. Mon paradis se situait là, sous mes mains frénétiques, effleurées des lèvres, recouvert de ma respiration erratique, mon cœur en rythme, mon souffle presque coupé. D'instinct, je plongeais mes yeux dans les siens, ces émeraudes à la brillance unique, voilée de souffrances cachées. Il ne pouvait pas lire les miennes pour le moment, ce qui me sauvait pour l'instant, mais ça ne durerait pas, si nous persistions. La jouissance camoufla dans un cri cette dernière pensée.

- Katchan ? appela-t-il.

Un sourire invisible étira mes commissures. Ce surnom m'agaçait beaucoup moins qu'avant, il gagnait du terrain dans sa conquête, ma résistance complètement détruite à force de prononciation. Cette bataille, Deku l'avait remportée haut la main, à la loyale. Sans pour autant l'aimer en dehors de nos ébats, j'appréciais l'enrobage ; le goût allait réclamer un autre temps d'adaptation, cependant, je ne ressentais plus de colère en l'entendant couvert de son timbre, bien au contraire.

Allongé à ses côtés, la tête contre son torse, la berceuse de son cœur me chuchotait une infinité de paroles tendres dans les oreilles. Paraître ridicule à les écouter, les décortiquer, une à une, représentait le cadet de mes soucis pendant cet instant qui suivait la magie de notre fusion ; le bien-être qu'elles me procuraient trop fort, et moi trop faible.

Ses doigts dans ma chevelure éveillaient milles sensations merveilleuses semblables à des bonbons pétillants, une nouveauté là aussi. J'évitais les moments câlins par tous les moyens. Ma petite affaire terminée, la proie partait pendant la douche en général. Mais pas avec lui, le souhait qu'il continuât identifiable entre mille. Accro à cet homme, son effet, je m'enfonçais un peu plus dans la merde quand je m'en apercevais.

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