Braver l'interdit

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Pour la sixième fois de la journée, je secouais la tête, l'exaspération rongeant mes nerfs à fleur de peau. Izuku Midoriya était beaucoup de choses, le qualificatif « têtu » s'inscrivait sans l'ombre d'un doute en premier sur la liste. Une fois une idée fixe, il ne lâchait rien, si bien que j'imaginasse sans problème mes prédécesseurs, victimes avant moi, capituler, usées à force de contre argumenter.

Cela faisait huit semaines qu'il travaillait chez nous, un mois qu'il s'occupait à plein temps de la petite Eri. Après des débuts timides, ces deux jeunes gens que la tragédie rapprochait s'entendaient mieux que ce que j'espérais, et je me félicitai tous les jours de ce choix. Surtout lorsque je les apercevais, main dans la main, à s'échanger des regards enamourés. Plus que leur horrible similitude, ils se comprenaient d'une manière particulière, magique à observer.

Pourtant, au terme de la première semaine, le doute m'avait assailli. Quelque chose qu'il ne désirait pas partager devait s'être produit dans sa sphère privée la veille, car, le dimanche d'après, il n'y avait que son physique de présent à la clinique. Son esprit peu sollicité avait par conséquent continué d'errer dans les limbes de l'inconscience. Avec une maladresse inconnue, reflet de ma sincère inquiétude, j'avais tenté de percer son mal-être, mais sa réponse, fausse bien entendu, s'était chargée de m'avertir que j'outrepassais mes droits, son intimité revendiquée à travers elle. Pensait-il vraiment passer inaperçu, quand son allure négligée, ses émeraudes hagards et gonflés prouvaient son chagrin ?

Le chef du service pédiatrique, avec qui il s'entendait à merveille, avait aussi essayé de le renvoyer chez lui. Sans succès, d'après le rapport écrit de leur interaction ce jour-là, son exubérant collègue, reçu pour toute réplique : « Au contraire, je dois être ici plus qu'ailleurs. ».

Au fil des jours toutefois, cela semblait s'effacer, et je soupçonnais sa petite patiente de contribuer à ce retour à la normale. Bien sûr, par moment, il souffrait le martyre, un mal immense visible pendant de fugaces secondes à l'intérieur de ses prunelles vertes, cependant, cette énigmatique douleur s'estompait en douceur.

Parfois, j'aimerais sauter au-delà de la barrière professionnelle, assurer mon soutien, le souhait de ce soir-là se superposant à cette envie. Mais le barrage construit tenait bon, pour une raison à ne pas oublier : si je cédais à ce caprice, d'autres suivraient, et au vu de ses humeurs changeantes, pas question de rajouter à ses tourments. En outre, je le connaissais suffisamment pour savoir que, quelles que fussent les origines de sa peine, il arriverait à la surmonter.

C'était donc en tant que formateur que je faisais face dans mon bureau à mon stagiaire un peu trop borné.

- Vous me l'avez confié pour que je l'aide et c'est ce que je fais, pointa-t-il, je pense que faire sortir Eri dehors marquerait le début d'une nouvelle impulsion chez elle.

Eri était ce que nous appelions ici, « Une patiente à durée indéterminée » : elle vivait au sein de la structure depuis la date de l'accident de ses parents, survenu deux ans auparavant. La police nous l'avait amené pour un examen complet, néanmoins, après recherche d'une quelconque filiation soldée par un échec, la fillette se retrouva orpheline.

En accord avec la charte de la clinique, Fuyumi s'était arrangée pour l'accueillir le temps de sa prise en charge. Assumés par nous-mêmes, les frais relatifs à ses soins nous préoccupaient bien moins que son état psychique.

Compte tenu du choc, de son jeune âge, Eri s'enfermait dans un mutisme, résultant d'un effet post-traumatique ; plusieurs psychologues certifiaient l'aspect transitoire du phénomène, manifestation de son deuil selon eux. Seulement, plus le temps passait, plus nous doutions de ces allégations.

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