Brèche - Partie 3

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Dans une petite ville de l'ouest de la France, 15 septembre 2006

Les iris verts et enfantins de Marion observèrent sans grande envie la cour carrée dans laquelle elle se trouvait, en chœur avec les autres élèves de sa première classe de primaire. La plupart d'entre eux sautaient entre les lignes blanches striant le goudron. D'autres couraient sous le préau soutenu par ses poutres brunes, et ses murs aux briques aussi vieilles que celle encadrant l'espace. Plus loin, dans un bac à sable, se dressaient les structures spéciales gamins de leur trempe.

Mais l'enfant ne faisait ni échanger des figurines Mon Petit Poney en plastique, ni manipuler les scoubidous qu'elle tenait pourtant dans ses petites mains. Elle restait parfaitement immobile, presque assourdie par les cris enjoués, ou colériques, ou surpris, qui envahissaient l'air frisquet de ce début d'automne.

« Eh, Marion ! » geignit Léa, une blondinette potelée – la bimbo de sa classe, la populaire de leur année, ou quelque chose de ce style. La châtaine se tourna vers elle : elle se tenait là, devant elle, les paumes sur les hanches. « On a dit qu'on ferait un concours de scoubidous ! »

Les autres filles assises sur des marches derrière elles approuvèrent d'un hochement de tête. Mais j'ai un livre dans mon sac. Elle se tourna pourtant vers elles avec docilité. L'angoisse s'insinuait déjà dans son coffre un poil perturbé. Elle en était certaine, dès que la maîtresse allait se mettre à discuter avec la cantinière, ce groupe-ci allait soit lui chourer deux-trois fils, soit l'applaudir pour ses prouesses si elle y mettait son cœur.

Mais ce qui l'inquiétait le plus n'était pas sa propre situation. Au coin de cette cour carrée dans laquelle elle se trouvait, en chœur avec les autres élèves de première classe de primaire, était quasiment affalé un garçon à la chevelure ébène si longue qu'elle avait longuement cru que c'était, lui aussi, une fillette.

Puis, madame Bouillaud avait fait l'appel. Antoine, qu'il s'appelait. Le seul qui n'avait pas eu droit à l'énonciation de son nom de famille. Juste Antoine. Pourquoi ? Ce détail-ci la travaillait depuis leur rentrée. Ensuite s'étaient rameutés les caïds du coin. « On t'a coupé la langue ? » ; « Quoi, t'es une nana, au final ? » ; « Réponds » ; « Arrête de nous ignorer » ; « T'es un mongolo ! » ; « Pourquoi t'as pas de maman qui vient te chercher ? » ; « Regarde, on dirait un sac poubelle » ; « File-nous tes billes » ; « T'es minuscule, tu peux rien faire. »

« Tu vas causer, oui ?! »

Une voix qui traversa le brouhaha de la cour, zigzagua entre les autres écoliers, et parvint aux oreilles de Marion avec un peu trop de talent. « Marion », bougonna encore Léa, en tirant cette fois-ci la manche de sa doudoune bleue. Aussi bleue que sa monture aux verres carrés.

Peu importait. Peu importait. Les quatre racailles dont elle n'avait pas pris la peine de retenir le prénom entouraient de nouveau le plus petit. Ce dernier ne releva pas même son visage pâle et fin. Lorsque ses copines surprirent son regard, d'autres grognements s'échappèrent de leurs lèvres. « Fais pas gaffe, c'est un looser. T'es amoureuse de lui, ou quoi ? »

Elle fit non de la tête ; toutefois, ses yeux verts ne se détachèrent pas de la scène qui se déroulait à cinquante mètres d'elle. Ils clignèrent avec confusion lorsqu'on utilisa le crâne du noiraud comme beeper de Questions pour un champion ; se plissèrent en voyant ce geste se transformer en quelques bousculades ; s'écarquillèrent dès qu'Antoine se fit prendre par le col, et plaquer brutalement contre le mur.

Elle commença une course avec urgence, et ouvrit la bouche pour contester ; mais on la retint par le poignet. « Marion », insista Léa. « Laisse-le. Je te dis, c'est un looser. »

ꜱᴀɴɢᴜɪɴᴏʟᴇɴᴛꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁵⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant