Les vieux jours - Partie 3

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Fort Smith, Canada, 26 décembre 1999

Isis manqua de faire tomber le combiné porté à son oreille, entre deux tresses rousses et soignées. « C'est... une blague ? » lâcha-t-elle. Les sourcils châtains de Sam Dainsborth se froncèrent à l'instant où les yeux tout aussi originaux de sa compagne s'écarquillaient lentement.

Il ne pouvait pas entendre la personne avec qui elle conversait, mais devinait sans mal que c'était un parent qui l'avait appelée en cette fin d'après-midi orangée. Ils se levaient tout juste, avec un joli mal de crâne. Ses cheveux auburn, plus ou moins courts, étaient d'autant plus en bataille qu'usuellement, et il avait pu détecter avec amusement de jolis cernes sous ses iris bleus.

Cependant, il n'était probablement plus l'heure de se gausser. La voix seule de la rousse avait balancé une atmosphère sombre dans leur chambre, allégorie du bordel, de son lit double aux étagères claires en passant par leur penderie de toile blanche. Quelques fringues jonchaient le plancher par-ci par-là. Et la fenêtre allait beau répandre les rayons chaleureux du soleil couchant sur tout ce beau monde et la tapisserie bleue en prime... Elle n'allait pas effacer la pâleur cadavérique du visage en triangle de la jeune femme.

« Chérie ? » tenta-t-il. Elle leva sèchement une main pour le faire taire. Il ne fut pas surpris le moins du monde par cette réaction. Dans n'importe-quelle situation, cette attitude bornée ne quittait jamais Isis. Dans n'importe-quelle situation...

Son gémissement désespéré brisa ce constat dans un brio horrifique.

Il manqua de se lever, les lèvres entrouvertes. Néanmoins, il comprit bien vite qu'il n'avait pas intérêt à intervenir d'une quelconque manière. Le ton monta, chez la jeune active. Bien évidemment, il n'en saisit rien, puisqu'elle déblatéra son français vite, trop vite, et d'un timbre bien trop venimeux. Quoique, venimeux n'était pas le terme exact : elle penchait entre le désespoir, le choc, et une frustration dont il n'effleurait pas même l'intensité.

... Je suppose qu'on va attendre. Devait-il prendre un livre pour faire passer le temps ? Non, ce comportement n'était pas tout à fait adapté. Se recoucher, peut-être ? Son cœur était trop anxieux, et les décibels qu'émettait Isis, trop... élevés. Tout était trop, ce jour-ci. Et sa cuite torturait ses tempes un peu plus encore. Je peux bien prendre un cachet.

Il déglutit avec malaise, et se pencha vers leur table de chevet sur laquelle s'empilaient ses bouquins. Une bouteille d'eau à portée, des antidouleurs à côté : de quoi bien parer leur gueule de bois. Ou plutôt, la mienne, songea-t-il en voyant la rousse serrer le poing avec fureur. Elle a l'air bien réveillée.

Sam tenta tant bien que mal de chasser l'inquiétude qui le rongeait. Comme Isis le disait, se faire du mouron pour quelque chose dont on n'avait pas la main mise dessus ne servait à rien. Il fallait attendre des nouvelles, rester patient, ne pas céder à la panique. « ... et se mettre un coup de pied au cul, à un moment ! » avait-elle pesté au sujet de sa sœur.

Avait-il déjà embrassé cette philosophie ? Non, il était conscient de son propre flegme. Même si cet appel-ci craignait un poil. Juste un poil. Sam, se reprit-il durement. Il avala son médicament, laissa échapper un long soupir qui lui valut un regard noir, et s'adossa contre le mur, bras croisés. Il n'avait pas remarqué les larmes perlant au coin des yeux bruns de sa concubine.

Celle-ci même qui éclata le téléphone sur son socle dans un « allez vous faire foutre ! » presque hurlé. Il sursauta illico, le souffle court. « Sam », articula-t-elle, dos à lui. Dès qu'il la vit ramasser des habits, et attraper une valise, la panique le frappa de plein fouet.

ꜱᴀɴɢᴜɪɴᴏʟᴇɴᴛꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁵⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant