Brèche - Partie 2

54 6 133
                                    

Shiganshina, Mur Maria, 4 juillet 852

Une faible lumière. Voici ce qui filtra au travers des paupières pâles d'Isaac. Il ouvrit un œil rouge, puis deux, puis se releva de sa paillasse coincée dans le dortoir d'Eren, Antoine, et deux autres clampins dont il n'avait pas grand-chose à faire.

L'heure de se réveiller, devina-t-il aisément. Cela ne fut pas bien dur pour lui. Il était habitué au rythme strict de l'armée américaine ; celui des Murs était plus dur, mais leurs supérieurs compensaient par leur flexibilité.

Il fut manifestement le premier à se détacher de ses couvertures chaudes. Cette longue pièce aux quatre lits doubles, superposés deux à deux, aurait presque pu être inondée par les rayons doucement rosés de l'aube. On est début juillet. Marion est partie il y a un mois. Est-ce qu'elle reviendra bientôt... ? pensa-t-il, le menton bas, en enfilant machinalement ses hautes bottes et sa courte veste du Bataillon.

Il jeta un bref regard à la petite silhouette musclée du Chaillot. Il s'étalait sur deux matelas, et ronflait allègrement, un bras au travers de son visage fin et ses longs cheveux noirs en bataille. Cela rappela au semi-géant que les siens, blancs comme la neige, commençaient à tomber sur ses épaules. Il va falloir que je me les coupe... Plus tard, je suppose...

Devait-il les réveiller ? Non, la vision de Mike reprenant ces trois-là dans un joli mood passif-agressif était trop jouissive. Il se glissa donc dans le long couloir, puis dans les escaliers aux marches de pierre inégale, puis dans le rez-de-chaussée habité par quelques gardes de nuit remontant rattraper leur sommeil, puis dans ce joli réfectoire principalement vide aux poutres brunes quasiment antiques.

Là-bas, au fond, derrière deux tables, était assis Conny. Le rasé paraissait enchanté par son rôle de cuistot-serveur. Ses iris pâles se firent d'autant plus hantées par l'ennui dès que l'albinos s'approcha, chopa une gamelle et des couverts, le salua d'un bref acquiescement, et le laissa lui servir une louche de plâtrée d'avoine. Ainsi le jeune homme partit-il en solo vers une table au hasard, près d'une fenêtre aux carreaux en losange donnant sur la cour.

Un jour ordinaire. Il allait certainement encore jouer le rôle de punching-ball titanesque pour Mikasa, d'agresseur humain contre le mastodonte d'Annie, et de cible au corps-à-corps au service des deux.

La routine. Rien de plus, rien de moins. Une routine aussi fade que le silence qui régnait ici. Certes brisé par les pas de Mikasa, venant de débarquer de toute son aura aussi franco-japonaise qu'Ackerman. Suivit Annie, un bel air maussade plaqué sur sa figure en cœur ; Historia et Sasha, un poil plus vives ; et, enfin, Rebecca...

Qui restait interminablement seule, rongée par il-ne-savait-quel-sentiment peu gai.

Celle-ci était la seule qui lui faisait à peu près de la peine. Elle ne causait à personne, ni même à sa propre fille. Si, Carla lui tenait parfois compagnie. C'était tout. Quel ressenti la bouffait-il à cet instant précis, alors qu'elle attrapait machinalement son assiette ? Pouvait-il l'assimiler à une chose encore plus forte que le vide qui l'habitait partiellement en l'absence de la chercheuse ? Ils avaient eu des différents, la sergente et lui. Cependant...

« Rebecca », dit-il sobrement. L'intéressée se retourna avec surprise vers lui. Puis, elle le dévisagea avec stupéfaction, les mains presque tremblantes. La sœur de l'hospitalisée se rameuta au même instant. « Oh, Rebecca. Bonjour. » La noiraude jongla entre les deux dans une confusion quasi extrême. Un peu plus, et on aurait pu la croire sortie d'un isolement social de six bons mois.

Mais alors qu'il pensait qu'elle allait sérieusement rester plantée là, elle fit un pas hésitant vers sa table. C'est au moins ça. Il retourna simplement à sa plâtrée. Son visage androgyne ne reflétait certainement pas grand-chose ; peut-être son expression était-elle aussi fade que la nourriture qu'il ingurgitait ; le jeune homme ne bougea pas d'un iota lorsque les deux autres ex-ennemies s'installèrent de face de lui. Son ancienne sergente était entourée, et la brune commençait déjà à lui parler. Il n'avait pas à se préoccuper de plus de choses que cela.

ꜱᴀɴɢᴜɪɴᴏʟᴇɴᴛꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁵⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant