Le rouge et le blanc - Partie 2

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Nord-est de l'Europe, 1er janvier 833

Il faisait un froid de canard, entre les vieux murs de la pauvre bâtisse dans laquelle campait l'escouade de repérage de Piirissaar. Ayla était assise sur le sol de pierre ; ses iris bruns observaient le plafond poussiéreux, aux poutres tordues et blanchies par d'épaisses toiles d'araignée. Depuis que les titans étaient apparus, plus personne n'habitait ce village, et l'île de Piirissaar s'était petit à petit organisée pour lutter contre la mort.

Voici comment elle, et Ulysse, et d'autres camarades encore, s'étaient portés volontaires, afin d'évaluer la dangerosité de ce territoire-ci. Ils avaient avancé vers l'ouest, armés de leurs deux sabres aiguisés. Leurs montures élancées ne montraient pas l'once d'une quelconque fatigue. Peut-être étaient-elles trop fières pour cela.

Et, au grand soulagement de la jeune femme, même après deux jours d'exploration et quelques géants abattus, ils ne comptaient pas de morts.

Elle passa sa main carrée sur son visage hâlé et plat. Son carré noir et rêche subit un joli décoiffage. Peu importait : tous puaient la transpiration, ici. Même Ulysse, le petit dadais accroupi près du feu allumé au centre de cette pièce démeublée. Leurs flammes dansantes faisaient briller sa peau de porcelaine et ses prunelles noisette.

Il les posa d'ailleurs sur elle : ils échangèrent un sourire fatigué. Puisque les autres dormaient, pris en sandwich entre leur paire de draps respectifs, c'était à eux de monter la garde. La nuit, les mastodontes ne bougeaient pas. Cependant... Cependant, je déteste rester enfermée, marmonna-t-elle en son for intérieur.

Elle ressentait ce besoin inexplicable de sautiller partout depuis sa naissance, trente-et-un ans plus tôt. Ulysse le comprit bien vite, car il fit mine de s'étirer, et se releva avec vigueur. Dehors, ils pouvaient discuter tranquillement, de choses et d'autres, peut-être d'eux.

Elle se remit sur ses pieds à son tour, et ne retint pas son soupir d'aise. Les cliquetis de leur plastron aux écailles charbon et de leurs épées entrecroisées brisèrent le silence de la nuit. La nuit, qu'ils rencontrèrent dès qu'ils passèrent le pas de la porte, et affrontèrent l'air glacé de l'hiver. Leur combinaison brune et moulante était pourtant réputée imperméable.

« Fatiguée d'être assise ? se moqua gentiment Ulysse.

— Forcément. Pour qui tu me prends ? »

Elle jeta un œil au ciel parfaitement opaque, puis au jeune homme adossé contre la façade. Elle faisait une demi-tête de plus que lui, et le battait au bras-de-fer : jamais ne se lassait-elle de ces simples victoires. Toutefois, elle ne le charriait plus là-dessus. Lui tuait plus de cibles qu'elle : pour elle, cela les mettait au même niveau. La brute et l'agile, qu'on les appelait. Ils allaient bien ensemble, qu'on disait.

Elle entendit alors qu'il venait de sortir sa gourde de son sac, et s'attelait à la dévisser. Un sourire s'étala sur sa face ronde. Elle attendit sa première goulée pour prendre la parole. « Eh, Ulysse. A quand un gosse de nous deux ? »

Il recracha illico l'eau qu'il venait d'avaler, et toussa de nombreuses fois, sous le rire de la jeune femme. « Tu... », s'étrangla-t-il. Elle lui tapota gentiment l'épaule, fière d'elle.

« Je ?

— Tu aurais pu attendre que je finisse de boire, marmonna-t-il. »

Il essuya son menton barbu et châtain. « On est ensemble depuis quoi, six ans ? On en a déjà discuté. Dans le courant de l'année, après qu'on ait abattu notre dose d'expéditions... » Il lui tendit sa flasque, mais elle se contenta de se saisir de son poignet. « Garde-la. J'ai aussi de quoi m'abreuver. » Elle la lui redonna plus doucement, et lui offrit un bref baiser. « Je te taquinais juste, tu sais », railla-t-il. « Monsieur premier degré. »

ꜱᴀɴɢᴜɪɴᴏʟᴇɴᴛꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁵⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant