Fondation - Partie 3

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Karanes, district est du Mur Rose, 30 juillet 852

Le soleil était haut dans le ciel, et particulièrement brûlant. Traute le sentait, malgré l'ombre des maisons de la rue de Ralle et Pfund. Bon sang..., pensa-t-elle, ses lèvres maquillées béantes sous l'histoire qu'elle venait d'entendre. Cette nana a vraiment construit ces Murs ? Et commis un génocide au passage ? Elle comprenait mieux pourquoi elle avait voulu quitter la Résistance à la simple mort de Petra. « Elle était... la seule chose qui me raccrochait à votre organisation. J'ai trop donné, Traute. J'aimerais prendre ma retraite, à défaut de pouvoir revenir en arrière... »

Toutefois, lorsque la blonde lui avait rappelée, durant une bonne heure, à quel point les Murs étaient dans la mouise, la rousse l'avait gratifiée d'une mine dont la pâleur avait fait disparaître chacune de ses taches de rousseur. Puis, elle avait pleuré. Puis, elle avait frénétiquement hoché la tête. Puis, elle avait tapé du poing sur la table, et avait sifflé un « je reviens, pour Anna » déterminé.

On aurait bien dit que le coup de pied dont elle avait eu besoin avait été de déblatérer toute cette... aventure à quelqu'un de complètement extérieur à celle-ci. Albert, lui, avait simplement suivi. La trentenaire avait détecté un bon allègement chez lui. Il lui avait même murmuré un remerciement, à son départ.

Et désormais qu'elle se retrouvait de nouveau dehors, elle se permettait enfin de laisser transparaître sa stupéfaction. Comment un être humain normalement constitué avait-il pu survivre à des tortures psychologiques pareilles, jusqu'à développer une grossesse nerveuse due à son dernier viol ? La flamme de la Résistance ne l'a jamais réellement quittée. Elle fait tout ça pour sa cousine, certes, mais ce qui compte sont les actes. Du reste, je m'en fiche pas mal... Je crois.

Prochaine étape : tout résumer au Postier pour qu'il le fasse suivre à Mike Zacharias. Elle tourna donc dans une allée vieillotte, non sans remettre une mèche platine en arrière. Elle allait manifestement devoir refaire sa queue-de-cheval en rentrant.

Toutefois, elle s'arrêta brutalement au beau milieu de sa marche. Ses yeux bleus s'écarquillèrent lentement. ... Mais si elle a avalé ces pilules modificatrices d'ADN à chacune de ses vraies grossesses... Maria, Rose, et Sina ont hérité des gènes pour se transformer en Titan Mural... Et elles ont fait des enfants pour perpétuer la lignée royale... Or... Or, les gènes en question étaient héréditaires. Et chacun de leurs descendants, chaque Fritz, possédait le pouvoir de se transformer.

Peu lui en fallut-elle pour foncer vers sa baraque, sans se soucier une seule seconde des passants qu'elle bousculait. Non, elle avait deux choses à faire : écrire au Postier, puis fouiller dans les archives de la famille noble. Car, si son raisonnement était juste, les Murs comptaient plus de Titans alliés que ce tous pensaient.

***

Trost, district Sud du Mur Rose, 5 août 852

« Encore une lettre pour vous ?! » s'exclama Alex avec stupeur. Il venait de débarquer dans un office du chef-lieu de la Poste de Rose. Ici, une femme d'une soixantaine d'années y bossait encore, au milieu de quelques commodes éclairées par un doux soleil matinal. Des montagnes de papiers s'élevaient autour d'elle, sur son bureau trivialement vaste.

Elle leva ses yeux bleus et ridés sur lui, et ne put lui accorder qu'un sourire étalé sur ses joues creusées par l'âge. Jamais n'avait-elle décroché un mot, durant ses années de service. Peut-être car sa langue avait connu – au choix – une déformation à la naissance, ou une violente mutilation. Toujours était-il qu'il l'avait constatée tranchée, lorsqu'elle avait baillé, une fois. Il penchait pour la première option, car la bougresse ne paraissait pas traumatisée le moins du monde.

Elle tendit simplement vers lui son bras mine de rien musclé, et chopa l'enveloppe en hochant la tête. « Joana, tu as vraiment du succès », murmura-t-il en grattant sa touffe noire. « C'est de ta famille ? » Le carré châtain de l'intéressée retomba devant sa face triangulaire lorsqu'elle lut le nom de l'expéditeur.

Elle parcourut en silence la missive qu'on lui avait adressée. Une fois. Deux fois. Trois fois. Alex manqua de reculer lorsqu'il vit des larmes naitre dans ses iris ciel. Après avoir retenu un sanglot au soulagement trivial, elle déchira un bout de feuille vierge, écrivit une seule phrase dessus, puis le fit glisser sur la surface de bois de sa table de travail. Il le prit en fronçant le nez, mais finit par rire.

« Pour la énième fois, espèce de bougre, appelle-moi juste Ana. »

***

Karanes, district est du Mur Rose, 23 mai 832, vingt ans plus tôt

Les retrouvailles avec Albert avaient été difficiles. Iris s'était d'abord faite distante, et avait manqué de retomber dans un autre cycle dépressif. Elle cauchemardait toutes les nuits, se réveillait parfois en criant des « non ! » déchirants. Elle avait bien dû, à un moment, lui expliquer les abus sexuels qu'elle avait subis.

Et là, étrangement, tout s'était éclairé. Il l'avait enlacée dans une douceur qu'elle avait perdue depuis presque une décennie, et lui avait tout pardonné. Tout, absolument tout. Car, disait-il, cela n'avait pas été de sa faute, mais avait relevé du sacrifice. « Je suis là. Ça ne recommencera pas, je te le promets. »

D'Anna, Stéphane ne leur avait toujours rien dit. En août 2006, le couple et Petra avaient été envoyés au quarante-et-unième – plus précisément, en 832, afin d'infiltrer les Murs. Iris avait pu voir le résultat de ses travaux par elle-même.

Une monarchie, de très jolis Murs, et une religion priant Maria, Rose et Sina. La « Grande Fondatrice », parfois, sans jamais prononcer le nom d'Iris – trop saint, peut-être ? Jamais n'avait-elle posé le pied dans l'une de leurs églises. Ironiquement, on ne causait plus de sa pseudo-Fertilité, ni des centaines d'hommes et de femmes morts sous les transformations des Titans Muraux.

Le secret avait bien été gardé. Joan, elle devait l'admettre, avait fait du bon boulot.

Iris et Albert se retrouvaient donc dans l'est du Mur Rose – naturellement, sans aucune nouvelle d'Anna. Heureusement avait-elle pu revoir Isis et Sam, également venus ici. A chaque fois, Leah et Petra couraient ensembles en jouant au loup touche-touche, ou à l'une de ses variantes, types « c'est moi Marion, attrape-moi si tu peux ! »

Puisqu'elles étaient deux à être destinées à entrer dans l'armée, aucun des parents ne les stoppait dans leurs activités énergiques. Et puis, les ordres étaient les ordres. Elles allaient devoir suivre un entraînement préliminaire pour atteindre le top dix de leur promotion. Toujours était-il que, au milieu de ces jolis évènements tout roses, le Postier leur avait indirectement fournis de faux papiers. Le jeune quadragénaire s'était improvisé menuisier, et la mère, femme au foyer.

Celle-ci avait longtemps passé ses journées à compter les semaines ayant suivi l'agression de Joan. Elle en dénombrait désormais cinq. Cinq, et son ventre s'arrondissait déjà légèrement. « Grossesse nerveuse », avaient déclaré – ou plutôt, prétendu – les médecins du vingt-et-unième, puis du quarante-et-unième siècle. Toutefois, elle savait qu'il y avait bien une saloperie qui grandissait dans son bide.

Voici pourquoi, en cet après-midi de mai, elle se retrouvait dans le lit d'un homme encore dans la fleur de l'âge, le dos courbé pour qu'il l'ensemence parfaitement inutilement. Halszka, s'appelait-il, rencontré dans un bar. Et l'enfant qui allait venir au monde, personne ne devait savoir qu'il venait de cent cinquante ans plus tôt... ni que, trois semaines après s'être formé dans son utérus, elle avait avalé par réflexe le dernier cachet destructeur de vie. Autant le faire passer pour le fruit d'une adultère, même si cela devait relever d'un énième, mais dernier, acte sexuel secrètement non-consenti.

Elle allait peut-être haïr ce futur gosse du plus profond de son être ; toutefois, pour rien au monde ne voulait-elle qu'il ne tourne en Titan Mural.

ꜱᴀɴɢᴜɪɴᴏʟᴇɴᴛꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7[1] ⌜ᵗᵒᵐᵉ ⁵⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant