27. Gros cons et case prison

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EZRA

Ce qui se passait devant les caméras n'était qu'une partie du tournage, qu'une infime partie du travail que nous devions fournir pour un seul épisode. Il ne s'agissait pas juste d'arriver vers notre candidat sélectionné et de changer sa vie et sa vision de lui-même. Une fois la personne choisie et avant la toute première rencontre, nous avions besoin d'au moins deux semaines pour nous préparer et surtout voir dans quels lieux nous allions pouvoir amener la personne.

Deux semaines sans temps mort, à repasser à la loupe le profil du candidat et à nous faire une idée sur lui. Qu'est-ce qu'on allait pouvoir lui proposer ? Quels étaient les éventuels blocages que nous allions rencontrer ? C'était un tout et parfois, j'avais l'impression de devoir avancer avec précaution, moi qui restais du genre à foncer tête baissée, quitte à se prendre un mur à l'arrivée.

Bavard comme pas possible, je surprenais souvent les moues amusées du staff et j'en arrivais à épuiser très vite mon petit monde.

Nous passions dans des villes presque inconnues jusqu'alors, bien souvent des bourgades minuscules où les préjugés se bousculaient devant la porte des habitants. Imaginez deux minutes les têtes lorsque cinq gays débarquaient dans un endroit somme toute conservateur où la seule bonne parole venait du prêtre du coin. Je ne crachais pas sur Dieu, mais je m'en fichais. Je n'avais pas connu une enfance où chaque dimanche j'étais allé écouter le sermon du coin, à l'inverse de certains dans notre groupe. Je n'avais pas eu l'impression de m'être détourné d'une voie toute tracée. Aucune hérésie pour moi dans le choix de ma sexualité.

Je m'assumais et je m'aimais. Je ne faisais qu'un avec mon orientation sexuelle. Que ça plaise ou non ne me faisait ni chaud ni froid. Je vivais avec moi-même, pas avec les autres.

— Comment peut-on se négliger autant ? marmonnai-je devant la vidéo de présentation de notre futur candidat.

Un père de famille qui ne prenait plus soin de lui depuis que sa femme avait été hospitalisée sur une longue période suite à un cancer. Cette dernière avait vaincu la maladie, faisant partie de ce pourcentage de miraculés.

Durant cette affreuse période, John – le père donc, avait dû gérer seul ses trois enfants. D'où le fait qu'il s'était oublié d'une certaine façon. Je comprenais, mais je ne l'acceptais pas. Comment s'aimer quand votre apparence démontrait une certaine image de vous ?

— Il reste très bel homme, répondit Kai, caché dans le dressing.

— À n'en pas douter, mais quand même. Se sentir bien dans sa tête c'est se sentir bien dans sa peau.

Kai en savait long sur la question, lui qui avait connu une phase de dépression bien des années plus tôt. Encore maintenant il restait compliqué pour lui d'en parler, mais parfois, il se livrait. Nous le faisions tous les uns avec les autres, ayant trouvé en notre petit groupe une famille pour laquelle je me battais bec et ongles, n'ayant pas peur de recevoir des coups en retour. Nous avions tous, à un moment donné, été rejetés par les nôtres ou par notre entourage et aujourd'hui nous n'en étions que plus forts, plus aptes à aider.

Kai se pencha, un cintre dans la main, une moue un peu chiffonnée au visage.

— Je suis inquiet.

— À quel propos ? soufflai-je sans relever les yeux de ma tablette.

L'exercice de ce matin m'avait rendu quelque peu fainéant pour le reste de la journée. Je passais peu de temps à la salle de sport, c'était le truc de Levi ça, et quand ça m'arrivait, il fallait que je me fasse ouvertement draguer. Pas que ça me déplaise, loin de là – rien de meilleur pour booster son amour propre d'ailleurs. Mais voilà, maintenant, j'avais juste envie de trainer au loft toute la journée, de préférence en très bonne compagnie. Mais aucun homme de ma vie ne semblait disponible et je ne parlais pas de ma petite perle.

KISS OF TIME - Dear Tomorrow - 1 [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant