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ENTRER !

La voix résonne à travers la porte en bois massif, autoritaire et froide. Un frisson parcourt mon échine, mais je ne me laisse pas démonter. Je tourne la poignée et entre immédiatement, consciente que chaque seconde compte dans cette pièce où l'air semble peser plus lourd qu'ailleurs.

La pièce dans laquelle je pénètre est vaste, luxueuse. Les murs sont recouverts de panneaux de bois sombre, ajoutant une touche austère à l'atmosphère. Au centre, un grand bureau en verre trône, sobre mais imposant, derrière lequel une immense baie vitrée offre une vue vertigineuse sur la ville. Les gratte-ciels semblent se plier sous la dominance de ce bureau, de cet homme. Mes talons claquent sur le parquet ciré tandis que je m'avance, essayant de maîtriser le léger tremblement dans mes mains.

- Bonjour, dis-je en tentant d'afficher une assurance que je ne ressens qu'à moitié.

Un homme se lève alors du bureau. Mon cœur rate un battement. Il est grand, trop grand, et son aura emplit immédiatement la pièce. Ses yeux... ces yeux... Ils sont d'un brun si clair qu'ils rappellent la teinte dorée du miel, presque hypnotiques. Mais c'est leur froideur qui me fige sur place. Ce regard, il vous sonde, vous dénude, vous met à nu sans aucune pudeur.

Je déglutis, mais je ne laisse rien transparaître. Je ne dois rien laisser transparaître.

- Madame, dit-il en me tendant la main, sa voix aussi glaciale que son regard.

Je serre sa main, tentant de ne pas fléchir sous la fermeté de sa poigne. La chaleur de sa peau contraste avec l'impassibilité de son visage, mais je ne montre rien. Je m'efforce de ne pas trahir le trouble qui commence à monter en moi. Je suis ici pour un entretien, je suis préparée. Je DOIS être préparée.

- Monsieur, réponds-je simplement, en reprenant ma main.

Son visage reste inchangé, aucune expression, aucune émotion. Pas même l'ombre d'un sourire. L'indifférence qu'il affiche est presque blessante, mais je me refuse à céder. Je suis ici pour une raison précise, et je ne me laisserai pas déstabiliser.

- Veuillez prendre place, nous allons commencer, dit-il en désignant la chaise face à lui.

Je m'installe, croisant les jambes avec soin, mes doigts fermement posés sur mon sac à main. Je tente de paraître décontractée, mais la vérité est que mon cœur bat à tout rompre. De l'autre côté du bureau, il s'assoit à son tour, sans quitter mes yeux du regard. Ce face-à-face est déjà un défi, une épreuve de force silencieuse.

- Présentez-vous, s'il vous plaît, et expliquez-moi pourquoi notre entreprise vous intéresse, dit-il d'une voix monotone, presque mécanique.

Je respire profondément, laissant les mots que j'ai répétés tant de fois se dérouler. Je parle de mes expériences, de mes compétences, de ce que je peux apporter à son entreprise. Ma voix est posée, assurée. Je me surprends même à glisser quelques touches personnelles pour paraître plus authentique, plus humaine. Jusqu'à ce que...

- Quelle est votre situation matrimoniale ? Célibataire, en couple, mariée ?

Je m'arrête net, le souffle court. Son regard ne lâche pas le mien, et pour la première fois depuis que je suis entrée dans cette pièce, je sens la panique me gagner. Il m'analyse, me jauge, cherchant une faille. En temps normal, je suis celle qui observe, qui interroge, mais ici, les rôles sont inversés, et je déteste cette sensation de vulnérabilité. Je tente de détourner les yeux, de me concentrer sur autre chose - la vue, le bureau, n'importe quoi. Mais rien n'y fait. Ce regard est comme un aimant, impossible de m'en libérer.

- Hum... c'est que... normalement, vous ne pouvez pas me poser des questions aussi personnelles lors d'un entretien d'embauche, réponds-je en essayant de garder un ton neutre.

Un sourire effleure alors ses lèvres, léger, presque imperceptible, mais suffisant pour me faire comprendre que ce jeu ne fait que commencer.

- Normalement, oui. Mais ici, il n'y a rien de normal, rétorque-t-il calmement. Je décide de ce qui doit être posé, je pose les questions que JE VEUX, et vous devez y répondre.

Sa réponse me coupe le souffle. Est-il sérieux ? Je sens la colère monter en moi, mêlée à une incompréhension totale. Est-ce un test ? Un piège ? Mon esprit s'agite, cherchant une issue à cette situation déconcertante.

- Sinon quoi ?

Ma question fuse, teintée d'un défi que je ne cherche même plus à dissimuler. Je refuse de céder à son petit jeu.

- Sinon... vous n'aurez pas le poste, tout simplement.

Sa voix est doucereuse, presque moqueuse, tandis qu'un sourire narquois étire ses lèvres. Ses yeux brillent d'un éclat joueur, comme si cette confrontation l'amusait. Ses mots résonnent dans la pièce, me provoquent, m'invitent à réagir.

- Vous êtes conscient que je peux porter plainte ? lancé-je, tentant de reprendre le contrôle de la situation.

- Allez-y, je vous en prie.

Son ton est dédaigneux, comme si l'idée même l'amusait. Il sait qu'il détient le pouvoir ici, et il s'en délecte. Chaque mot qu'il prononce est une nouvelle provocation, un nouveau coup porté à mon sang-froid.

- Bien, vous savez quoi ? dis-je en me levant brusquement. J'ai répondu à toutes vos questions professionnelles. Vous avez mon numéro, mon adresse e-mail. Vous pouvez me contacter si vous le souhaitez pour une réponse favorable.

Je rassemble mes affaires avec une hâte contenue, décidée à ne pas lui donner la satisfaction de voir combien il m'a affectée. Mais à l'instant où je m'apprête à quitter la pièce, il se lève à son tour, imperturbable.

- Vous ne me dites pas au revoir ? demande-t-il, son sourire narquois toujours présent.

Je me retourne vers lui, lui tendant la main avec une assurance retrouvée, un sourire joueur sur les lèvres. Je sens une vague de triomphe me traverser.

- Oh, si, bien sûr, Monsieur... ?

- Quamar.

Son nom me frappe comme un coup de tonnerre. Quamar. Amar. Un curieux parallèle, une ironie que je ne peux ignorer. Le destin a un drôle de sens de l'humour, semble-t-il. Je maintiens mon sourire, refusant de céder une once de ma dignité.

- Très bien, monsieur Quamar, passez une bonne journée, dis-je avec une touche de défi dans la voix.

Je me retourne, balançant mes cheveux avec une grâce calculée, et m'éloigne d'un pas ferme, laissant derrière moi cet homme aux yeux de glace. Chaque pas est une victoire, chaque geste une affirmation de mon indépendance.

Une fois dans l'ascenseur, je me permets enfin de respirer. L'air frais envahit mes poumons, chassant la tension accumulée. Ce n'est qu'à ce moment-là que je réalise à quel point je suis en sueur, à quel point cet homme a réussi à me faire perdre pied. Ses traits, sa stature, tout en lui est imposant, dominant. Un mètre quatre-vingt-dix, peut-être plus. Des épaules larges, une carrure impressionnante. Ses yeux... Des yeux qui oscillent entre le vert et le brun, une couleur indéfinissable, captivante.

Si je devais le décrire en un mot, ce serait "viril". Mais peut-être aussi "hautain", "glacial", "impoli". À vous de choisir. Mais ce que je sais, c'est que cet homme, malgré tout ce qu'il représente, ne m'intimidera pas. Et s'il pense que cet entretien est terminé, il se trompe lourdement.

« Amar »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant