Enfermé depuis son treizième anniversaire dans un monastère, Helei laisse le temps passer tout en servant des sourires polis aux moines. Sage et attentif, il dissimule son activité nocturne derrière son air angélique. Chaque nuit, il emprunte un sou...
Helei s'était enfin endormi. Le pauvre enfant. La cruauté du révérend me restait à l'esprit, marquée au fer blanc. J'étirai les bras, essayant de détendre mon dos. Mon tatouage brûlait ma peau alors que le sang que j'avais absorbé dessinait de nouveaux motifs. Mes paupières se fermèrent tandis que je portais mes doigts à mon front. Il me paraissait étonnement chaud, faisais-je de la fièvre ?
Mon esprit commença à s'étioler, des fourmillements piquaient ma peau alors que j'ouvrais les yeux. Le décor de l'étude disparut, noyé dans les ténèbres puis remplacé par une brume épaisse. Le manoir du duc d'Antraigues se dessina, les pierres et les hautes fenêtres étaient floues. La brume blanche effaça la façade alors que le visage d'Evangeline, la fille du duc, m'apparaissait. Elle souriait alors que la flamme de la lampe à huile faisait danser des reflets sur ses cheveux d'un blond polaire. Ses yeux bleus suivaient les lignes d'un vieux roman que je lui avais offert pour ses seize ans.
La flamme vacilla lorsque la porte s'ouvrit sur David, le garde du corps du duc. Ses cheveux bruns, coupés en brosse, durcissaient son visage coupé à la serpe. Il lança un regard sévère, empli de rage, à Evangeline.
— Où est-il ?
— Je ne sais pas, il n'est pas rentré.
La brume vint à nouveau obscurcir le décor et je tentai de l'éloigner d'un mouvement de main. Je perdis ma vision alors que l'étude et le visage apaisé d'Helei réapparaissaient. La peur que m'inspirait David me faisait perdre le contrôle de mon pouvoir. Mon coeur battait rapidement rendant mes mains tremblantes. J'inspirai, ne laissant pas la crainte m'envahir. Tant que je serais dans ce monastère, David ne pourrait pas me blesser.
Mes yeux se posèrent sur le parchemin que les bras d'Helei recouvraient. Je tendis la main et attirai le papier, ainsi que la plume, vers moi. Le jeune homme avait écrit une grande partie de sa repentance, mais elle n'était pas terminée. Il fallait que je gagne sa confiance et s'il n'acceptait pas le pouvoir qui sommeillait en lui, ma mission risquait de se compliquer.
Après plusieurs minutes de rédaction, je reposai le parchemin et la plume près d'Helei. Mon regard s'attarda sur les sillons que les larmes avaient tracés sur ses joues. Le souvenir d'être moi aussi affalé sur cette table s'imposa à mon esprit. Le dégoût noua ma gorge alors que les vestiges du passé s'imposaient en maitre. Je ne voulais pas penser à ça, je ne voulais pas me rappeler. Laissant Helei dormir, je pris soin de verrouiller la porte derrière moi.
Une sorte de fièvre enveloppait mon corps et je frissonnai lorsqu'une brise fit voleter mes cheveux. Utiliser mes visions était une grossière erreur, j'aurais dû assimiler le pouvoir avant de m'en servir, mais la sécurité d'Evangeline était une priorité. Le sang du monstre enflammait mes artères et je me retins de crier lorsque la douleur atteignit mon coeur. Je me retins au mur et la pierre griffa mes mains. La chaleur prenait possession de mon corps. Mes veines se teintèrent de noir et frappaient contre la peau, comme si mon coeur battait dans chaque cellule. Me forçant à avancer, je parvins à atteindre la chambre de Gaël. Frapper contre le bois de sa porte me parut insurmontable.
— Méphisto ?
Je m'écroulai dans les bras du religieux, ne contrôlant plus les tremblements incessants du pouvoir. Gaël me tira à l'intérieur et me fit tomber sur le lit. La porte se referma, faisant cesser le mince filet de vent. Le sang de la créature continuait de se mélanger au mien, cherchant une place auprès de mon pouvoir. Mon respiration se brisait alors que je luttais pour endiguer la douleur qui se répandait en mon être.
Gaël posa un petit linge imbibé d'eau sur mon front. Le contact froid me fit à nouveau tressaillir. Le religieux ouvrit soigneusement le col de ma chemise qui m'empêchait de respirer correctement. Ses mains me parurent glacées et je dus lutter pour que ma vision ne se trouble pas.
— Bon sang, Méphisto, qu'as-tu ?
— Le pouvoir... il ne s'est pas fixé...
Je me mordis la lèvre pour ne pas hurler de douleur. Les yeux de Gaël s'étaient écarquillés alors que je m'accrochais à sa soutane, froissant le tissu. Le sang déborda de mes yeux, glissant sur mes joues avant de venir souiller le blanc de ma chemise.
— Gaël... aide-moi...
— Qu'est-ce que je dois faire ?
Sans lui laisser le temps de faire un faux mouvement, je glissai sa main dans mon dos, effleurant le tatouage qui dégageait une légère chaleur. Gaël tenta de retirer sa main alors que le pouvoir brûlait sa peau. Je resserrai mon emprise sur son poignet. La puissance qui embrumait mon esprit se déliait au contact de cette main étrangère. Le feu ardent qui consumait mon corps s'atténua, jusqu'à cristalliser mes veines. La douleur s'étiola et finit par s'évaporer. Seul le tatouage continuait d'embraser ma peau, signe qu'il fixait le pouvoir que j'avais nouvellement acquis en sauvant Helei. Gaël s'éloigna brusquement de moi tandis que je me laissais tomber sur le dos.
Inspirant à grandes goulées, je sondais le pouvoir qui s'était tranquillisé. Mes yeux se fermaient, essayant de m'apporter un peu de calme après cette tempête. Un rictus étira mes lèvres. Cela faisait longtemps que je n'avais pas fait preuve d'une telle inconscience. Utiliser mon pouvoir alors qu'il était instable, quelle erreur de débutant. Cette puissance m'aurait épuisé si Gaël ne m'avait pas aidé. Je me redressai, grimaçant lorsque le tatouage tirailla. Le religieux s'était appuyé contre le mur, le regard troublé, tenant sa main brûlée contre son coeur.
— Est-ce que ça va ? m'enquis-je.
— C'est à moi de te demander ça.
Je hochai de la tête et m'approchai de lui avant de saisir sa main. Des cloques recouvraient la peau devenue rouge. Le pouvoir absorbé était plus puissant que je ne l'avais prévu. Mes mains se nimbèrent d'une aura violacée, elles apaisèrent les brûlures et réparèrent le tissu cellulaire abimé.
— Que fais-tu ici au bout milieu de la nuit ? m'interrogea l'ecclésiastique.
— J'ai ramené Helei de sa virée nocturne. Le révérend nous a surpris et nous a consignés à l'étude.
Mes prunelles évitèrent sciemment celles de Gaël. Mon ego devait accuser le coup de cet échec.
— Ça ne m'explique pas ton état.
— Je n'ai pas pu retourner au manoir. David n'a pas pu se charger de son travail et je voulais m'assurer de l'état d'Evangeline.
Gaël leva les yeux au ciel avant de me lancer un regard meurtrier. Je haussai un sourcil, refusant de m'humilier davantage.
— J'ai tué un Abscondam pour sauver Helei. Mon propre pouvoir n'avait pas absorbé celui de la créature lorsque j'ai utilisé mes visions.
— D'où ta crise. C'est irresponsable de ta part, Méphisto.
— J'en ai bien conscience. Mais tout serait plus simple si ton petit protégé daignait accepter son identité d'Ombre.
Le clocher de l'église sonna et je conclus notre rencontre.
— S'il ne m'écoute pas moi, il t'écoutera toi et Daniel. Fais quelque chose, Gaël, je risque ma vie.
Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.