Méphisto
Décembre 1876
La porte se ferma dans un petit claquement. Un bref soulagement me saisit et mon corps s'écroula complètement. La fièvre m'avait envahi. La douleur commençait à s'imprégner dans ma peau et à raidir mes articulations. Tout devenait flou, ma vision se troublait, je ne distinguais plus grand chose. Une chaleur malsaine se répandait dans mes veines depuis la morsure. Ma tête heurta violemment le sol, une vague froide explosa à l'arrière de mon crâne. Durant un court instant, je ne vis plus que du noir. Ma conscience m'abandonna sans prévenir, les ténèbres m'engloutirent
Les rues de Luxembourg défilaient sous mes pieds avant de céder place aux couloirs du monastère. Les murs me paraissaient aqueux, comme s'ils étaient composés de vif-argent. Tout me semblait instable. Le sol tanguait sous mes pieds nus tandis que des ombres se mouvaient. De la brume voletait et modifiait le décor. Les bruits de coups, les cris et le bruissement des ongles sur le bois assaillaient mes oreilles, si bien que je plaquai mes mains dessus. Des images se succédaient sous mes yeux, je fermai les paupières, essayant de me soustraire à mes souvenirs. Je revoyais ce jeune homme, si candide aux longs cheveux noirs, que j'avais été. La soutane et le chapelet qui pendait à mon cou me renvoyaient treize ans en arrière alors que j'étais condamné à vivre dans ce cloitre.
Je refluais les fragments de mémoire qui me rappelaient les mains dans mes cheveux, le souffle chaud dans ma nuque. Les caresses dans mon dos me faisaient frissonner, même si elles n'étaient qu'imaginatives. Les paroles chuchotées du révérend effleuraient mes oreilles alors que l'on m'obligeait à m'allonger sur l'une des tables de l'étude. Je revivais ce souvenir sans rien pouvoir faire. Chaque petit geste, chaque sensation me revenaient tandis que j'étouffais un énième sanglot. Une main passa sur ma cuisse, relevant le tissu rêche de ma soutane.
Le sol se dissout alors que je chutais dans les ténèbres. L'étude fut remplacé par les pierres sombres d'un sous-sol. De l'eau gouttait en un bruit régulier, si régulier qu'il me rendait fou. Une odeur rance, de moisissure, assaillait mes narines alors que mon corps heurtait le sol froid et humide du cachot. Une seule raie de lumière traversait les ténèbres. Un phare au milieu de la nuit. Un sourire m'empêchait de sombrer, une main se tendit vers moi. Gaël. Il m'adressa un regard bienveillant, mais les dalles de pierre cédèrent sous mon poids et je chutai à nouveau, englouti par les griffes du néant.
Je hurlai et me laissai retomber sur le dos lorsque je réalisai qu'il ne s'agissait que d'un rêve. Les murs autour de moi étaient à nouveau solides et le manoir du duc m'apparut comme un lieu rassurant. Le monastère, le révérend et ses gestes avaient disparu, enfouis au plus profond de ma mémoire.
Mes mains tremblaient toujours, pourtant, la fièvre qui avait envahi mon corps à cause de la morsure s'était volatilisée. Une étrange sensation se dégageait derrière mes yeux et compressait le haut de mon crâne. J'avais l'impression d'avoir pleuré, d'être effrayé. Mon identité, ma nature d'Ombre me dégoûtait, ce qui n'arrivait jamais. Ma puissance et mes flammes étaient une fierté, un don que j'avais reçu de mes ancêtres. L'Ombre qui sommeillait en moi n'était pas un monstre, même s'il semblait le penser.
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L'Ombre du Luxembourg
ParanormalEnfermé depuis son treizième anniversaire dans un monastère, Helei laisse le temps passer tout en servant des sourires polis aux moines. Sage et attentif, il dissimule son activité nocturne derrière son air angélique. Chaque nuit, il emprunte un sou...