Chapitre 25

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Helei

Décembre 1876

Le jour se levait à peine lorsque Méphisto et moi quittâmes le manoir des d'Antraigues. Le duc n'avait même pas pris la peine de se lever pour nous encourager. L'enlèvement de sa fille ne paraissait pas l'inquiéter. La vie de sa propre descendance ne comptait pas pour un homme tel que lui. Je ravalai ma rancoeur alors que les pavés irréguliers du centre-ville claquait sous le talon de nos bottes.

Retrouver Evangeline me semblait insurmontable, je ne savais pas par quoi commencer. Où pouvait-elle s'être réfugiée ? Auprès d'Abscondams, c'était certain, mais ces créatures avaient-elles un repère ? Je n'avais aucune indication, mais Méphisto semblait, comme toujours, savoir où aller.

Les rues étaient étonnement vides, aucune âme n'y vivait. Une brume claire recouvrait en partie le sol alors que nous avancions en direction d'un manoir. Il me parut plus petit que celui du duc d'Antraigues, mais bien plus accueillant. La pierre s'illuminait alors que les premiers rayons du soleil venaient la frapper. Les rosiers étaient frigorifiés par le froid vent de l'hiver. Le verre des fenêtres projetait des éclats grisâtres sur les marches de marbre. Méphisto commença à monter les escaliers qui menaient à la lourde porte de chêne. Les détails en or gravés sur le bois brillaient tandis que l'astre du jour continuait de grimper dans le ciel.

— Que fait-on ici ? demandai-je en dérapant sur le marbre recouvert de rosée.

— Tu verras bien, se contenta de répondre Méphisto en saisissant le lourd anneau de la porte.

Je n'insistai pas et laissai mon regard vagabonder sur les détails de la façade. La porte s'ouvrit alors que je contemplais les pignons. Le visage d'une femme, plutôt âgée, se détacha de l'obscurité ambiante, la maisonnée n'était pas encore réveillée. Les cheveux de la femmes étaient tirés en arrière en un strict chignon et un col enserrait son cou. Ses joues s'étaient sûrement creusées avec le temps. Une flamme atteignit ses yeux alors qu'un sourire s'étirait sur son visage pâle.

— William !

— Bonjour, Jeanne.

Méphisto ôta son chapeau haut-de-forme, laissant dégringoler ses longs cheveux noirs. Il salua la femme d'un radieux sourire alors qu'elle lui enserrait les épaules. Elle étreignit l'Ombre de longues minutes, lui murmurant des mots réconfortants tandis que je restais en retrait, ébahi par cette situation.

Je ne prononçai pas un mot, mon esprit ne parvenait pas à comprendre ce qui se passait. Qui était cette dame et comment connaissait-elle Méphisto ? Mais surtout, pourquoi l'avait-elle appelé William ? Elle finit par relâcher mon mentor avant de se tourner vers moi. Son regard brillait d'une telle bienveillance que je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour.

— Tu es venu accompagné ? demanda-t-elle à l'intention de Méphisto.

— Je te présente Helei, mon apprenti. Le comte est-il là ?

Jeanne hocha de la tête avant de nous faire entrer. Le hall d'entrée était aussi hospitalier que la façade. Les murs blancs étaient embellis par des tableaux colorés. Les chandeliers d'or projetaient de petites taches d'or sur le tapis rouge des escaliers. Au sommet des marches, un portrait de famille accueillait les arrivants.

Assis au centre de la peinture, un homme au sourire aimable tenait la main d'une femme aux longs cheveux blonds coiffés en une semi-couronne. Ses yeux bleus me fixaient et semblaient presque vivants. De l'autre côté du tableau, une jeune homme aux cheveux noirs s'appuyait contre le fauteuil. Le noir de sa chevelure était étrange, il semblait presque rougeâtre, comme s'il se trouvait près d'un feu. Peut-être était-ce le cas lorsque le peintre avait réalisé cette oeuvre ? Les yeux de l'adolescent, d'un brun particulièrement foncé, reflétaient un certain ennui que je pouvais décrire avec précision. Les traits fins de son visage, et le grain de beauté sous son oeil droit, me rappelaient quelqu'un : Méphisto.

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant