Chapitre 17

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Helei

Décembre 1876

Trois jours s'étaient écoulés depuis l'apparition de l'élu, depuis mon apparition. Je commençais lentement à sortir de mon état d'hébétude. Méphisto m'entrainait chaque jour et je découvrais l'étendue de mes capacités. Pourtant, je peinais encore à maitriser mes pouvoirs les plus simples, comme la flamme. Mon mentor me rassurait et intervenait au moindre dérapage.

Le jour où j'avais découvert ma véritable identité, je compris également que le duc d'Antraigues savait déjà qui j'étais réellement. Voilà pourquoi Méphisto avait rempli sa mission : il devait simplement amener l'élu au duc. Les minuscules yeux noirs du noble s'étaient illuminés d'un éclair de pouvoir et d'avidité. Il m'avait examiné sous tous les angles avant de poser une main sur mon épaule.

Ce geste, qui aurait dû paraitre protecteur, me procura un sentiment d'insécurité et de malaise. J'avais dégluti lorsque ses doigts s'étaient enfoncés telle une serre dans le tissu de ma chemise. Il avait souri à David et s'était totalement désintéressé de moi. Il avait quitté la pièce, accompagné de son garde du corps, sans un mot, mais la satisfaction accrochée au visage. 

— Helei, concentre-toi ! Tu fais n'importe quoi !

La voix agacée de Méphisto me tira de mes pensées et je repris le contrôle de mes flammes avant de faire brûler le tapis beige. Le professeur Daergos soupira en secouant la tête. Mon manque de concentration évidente semblait l'irriter. Il me lança un regard presque déçu avant d'en choisir un plus compatissant.

— Je sais que la situation est compliquée, mais si tu n'y mets pas du tien, nous n'y arriverons jamais.

Méphisto ne m'avait jamais paru si désespéré. La fatigue se lisait aisément sur les traits de son visage et l'éclat argenté de ses prunelles s'était terni. Je baissai les  yeux, ne supportant pas que mon mentor soit mécontent.

— Allons manger, nous aviserons ensuite, déclara-t-il après un dernier soupire.

Je me levai, les jambes engourdies et le coeur lourd. Je ne voulais pas décevoir les Ombres, elles comptaient sur moi. Lorsque ma puissance serait maitrisée, je pourrais refermer la brèche par laquelle passaient les Abscondams. L'élu était venu au monde dans ce but, c'était sa mission, ma mission.

Evangeline m'accueillit d'un grand sourire et posa sur moi un regard bleu bienveillant. Ses longs cheveux blonds étaient tirés en arrière et tressés en un complexe chignon. Je m'assis à côté de la jeune femme qui me serra la main, comme si elle voulait me donner du courage. Méphisto prit place face à moi, m'adressant un léger sourire.

Le duc, comme à son habitude, me lança un regard avide. Depuis qu'il avait confirmation de mon statut, sa concupiscence à l'égard de mon pouvoir avait redoublé. S'il pouvait me trancher la gorge afin de s'approprier ma puissance, il n'aurait pas hésité un seul instant. Je serais en train de me noyer dans mon sang.

Le début du repas se déroula dans le silence, seuls les bruits des couverts emplissaient l'atmosphère. La nourriture était délicieuse, ce qui me changeait de la tambouille insipide du monastère. Je savourais chacune de mes bouchées, me délectant des goûts qui m'étaient encore inconnus.

— Méphisto.

L'interpellé leva la tête alors que la voix du duc s'élevait.

— Tu emmèneras Helei lors de ta mission de ce soir.

— Il n'est pas prêt.

— Tu l'emmèneras, répéta le duc.

— Il risquerait de se faire tuer !

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant