Helei
Décembre 1876
L'odeur ferreuse du sang me fit reprendre mes esprits. Les ténèbres avaient envahi ma vision, je ne distinguais rien. Ma joue trempait dans l'hémoglobine collante qui provenait de ma blessure à l'épaule. Celle-ci me lançait, comme si mon pouls y battait, et diffusait une douleur effarante dans mon bras. Je serrai les dents alors que je me relevais.
La pièce était plongée dans des ténèbres opaques, seule une flamme éclairait faiblement les alentours. De l'humidité coulait le long des murs et de la mousse, ou de la moisissure, suivait le chemin qu'avaient créé les gouttelettes d'eau. Au plafond, je distinguais à peine l'effondrement par lequel nous étions tombés. L'odeur du renfermé, mélangé à celui de mon sang, me saisit à la gorge et je me surpris à suffoquer. L'endroit m'oppressait et la douleur de ma blessure me rendait fébrile, mon corps pouvait me lâcher dès qu'il le voulait. Et ce constat ne fit que m'angoisser davantage.
— Rien de cassé ?
La voix de Méphisto émergea de l'obscurité, près de la flamme. Ses yeux semblaient briller étrangement, comme si la colère et la peur qu'il ressentait modifiaient l'apparence de ses prunelles. Une plaie couvrait sa tempe gauche et du sang avait coulé le long de son visage. Des traces étranges m'indiquaient qu'il avait tenté d'essuyer l'hémoglobine. Un vif soulagement traversa ma poitrine lorsque je réalisai que nous avions survécu sans trop de dégâts à notre chute.
Mes yeux commençaient à s'habituer à l'obscurité ambiante, je joignis pourtant ma flamme bleutée à celle violacée de mon mentor. Celui-ci était assis sur une planche en bois retenue par des maillons de chaîne. L'une de ses jambes était relevée contre sa poitrine tandis que l'autre pendait dans le vide. Je tentais de réfréner ma surprise alors qu'une question muette prenait forme dans mon esprit.
— Il n'y a pas d'échappatoire, j'ai déjà cherché, expliqua-t-il en réponse à ma question non formulée.
Je déglutis, sentant la panique monter. L'adrénaline envahissait mon corps et mon coeur semblait pulser dans ma blessure. Sachant qu'il n'y avait aucune solution à notre actuel problème, je m'assis contre le mur opposé à Méphisto. Au fond de mon être, je percevais toujours ce malaise, cette peur maladive d'être enfermé. Et comme plus tôt dans ce couloir, je sus que cette terreur ne m'appartenait pas. Le silence se tissait entre nous et finit par devenir si oppressant que je dus le rompre.
— Pourquoi avez-vous si peur de l'obscurité ?
Méphisto releva la tête et fixa son regard dans le mien. Il eut envie de me mentir, je le décelai dans l'éclat rougeâtre de ses prunelles. Mais il n'en fit rien.
— Je ne me suis jamais bien entendu avec les ténèbres.
Je haussai un sourcil, peu convaincu par cette énigmatique réponse. Méphisto dut le comprendre car il enchaina.
— Toute cette peur remonte à l'époque où j'étais au monastère. Moi aussi, j'ai dû endurer ces cinq années dans cet endroit lugubre.
Le regard de compassion qu'il me lança me fit comprendre qu'il avait endurer des choses bien pires que les miennes. Il garda un instant le silence avant de finalement se lancer.
— Le révérend semblait trop... mielleux avec moi, comme s'il attendait quelque chose de ma part. J'ai vite compris ce qu'il voulait lorsqu'il m'attendait, un soir, dans l'étude.
Méphisto inspira longuement avant de continuer d'un souffle.
— C'est moi, ou plutôt mon corps, qu'il voulait.
Une sensation de dégoût m'envahit alors que je remarquais les tremblements qui agitaient les épaules de mon mentor. Je déglutis difficilement tandis que des images prenaient forme dans mon esprit. Méphisto réussissait, grâce à notre lien, à me montrer ce qu'il avait vécu. Des sensations inconnues parcouraient mon corps et envahissaient mon esprit tandis que ses souvenirs défilaient devant mes yeux. Dégoûté, je fermai les paupières, essayant de me soustraire à ce que Méphisto avait subi. Plusieurs secondes s'écoulèrent sans que je ne puisse rien faire, sans que je ne puisse arrêter ce viol. L'image et les sensations finirent par disparaître, laissant dans ma poitrine un immense vide. Mon coeur avait comme cessé de battre, je ne sentais plus ses pulsations dans ma tête.
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L'Ombre du Luxembourg
ParanormalEnfermé depuis son treizième anniversaire dans un monastère, Helei laisse le temps passer tout en servant des sourires polis aux moines. Sage et attentif, il dissimule son activité nocturne derrière son air angélique. Chaque nuit, il emprunte un sou...