Chapitre 36

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Helei

Janvier 1877

Le soleil montait entre les arbres recouverts d'un manteau blanc. Je contemplais le ciel se teinter d'un dégradé de rouge et d'orange. La neige brillait encore légèrement et je distinguais les traces de pattes que laissaient les animaux. Je balayais la neige de la rambarde et la regardai tomber plus bas avant de m'y accouder. La terrasse derrière le manoir faisait face à la forêt, je venais m'y ressourcer un moment avant de descendre déjeuner. Le calme matinal m'apaisait après une nuit agitée. Je n'avais cessé de rêver de Méphisto. Il me souriait avant de s'effondrer dans un marre de sang. Le pouvoir de l'élu éclatait tandis que son corps s'immolait. Les flammes argentées firent disparaitre ses cheveux blancs et le vent dispersa les cendres.

Perturbé, je n'avais pas retrouvé le sommeil. Marcher me permettait de me vider l'esprit. J'avais la désagréable sensation d'être suivi, espionné. Pourtant, dès que je me retournais, personne n'était là. Les événements de ces derniers jours m'avaient véritablement perturbé. Je secouai la tête alors que des pas crissaient dans la neige. Je reconnus Noé Desmond, le représentant helvétique des Ombres, à l'aura puissante qu'il dégageait.

— Nuit difficile ? me demanda-t-il.

Il s'accouda à côté de moi après avoir posé sa légère valise. Ses yeux brillaient alors que les dernières nimbes de ténèbres se dissipaient. Son aura violacée m'enveloppa et à nouveau, je me sentis en sécurité. Comme moi, son regard se perdit dans le lever du soleil. Les premiers rayons vinrent caresser notre visage alors que je fermais les paupières, profitant de ce doux moment. Ma tête était enfin vide de pensées parasites.

Lorsque je rouvris les yeux, Noé était en train de nouer les lanières de son manteau bordeaux. Il ajusta le col avant d'esquisser un léger sourire.

— J'ai été honoré de te rencontrer, Helei.

— Vous ne restez pas ?

Il secoua la tête. Ses prunelles dorés se voilèrent de tristesse alors qu'il détournait son visage vers le soleil levant.

— J'ai accompli ce que Méphisto m'avait demandé, mais ma congrégation a besoin de moi. La population n'est pas en sécurité.

— Pourtant, la brèche a été fermée, murmurai-je.

— Justement, sa fermeture va entrainer un vent de panique. Les Abscondams ont compris qu'ils ne pourraient plus venir sur Terre. Ils vont tenter de se reproduire pour que l'espèce ne s'éteigne pas. Nous n'avons pas d'autres choix que de continuer à les traquer et de les exterminer jusqu'au dernier.

Noé avait ce même regard déterminé qu'affichait Méphisto lorsqu'il était convaincu du bien fondé de son acte. Son aura ondulait et dégageait quelques crépitements alors que ses prunelles luisaient sous les rayons du soleil. Sans montrer la colère qu'il retenait contre les monstres, le représentant enfila ses gants en cuir.

— Nous avons été investi d'une mission compliquée, mais terriblement importante.

— Comment peut-on vivre avec ces morts sur la conscience ?

Inconsciemment, je sentis ma gorge se serrer, ma poitrine me faire mal. Je revoyais la vie de Méphisto s'échapper de ses yeux, la chaleur de son corps se transformer en glace et la mort s'emparer de ses prunelles argentées. J'inspirai profondément, refusant de manquer d'air.

— Toute Ombre s'est déjà posé cette question et elles ont toutes trouvé une réponse. Tuer un Abscondam revient à sauver de nombreuses vies humaines. Dans chaque vocation il y a un sacrifice.

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant