Chapitre 32

101 24 118
                                    

Helei

Décembre 1876

La soirée était déjà bien avancée lorsque je repris connaissance. Mes paupières me paraissaient lourdes et ma bouche pâteuse. Tout mon corps semblait englué dans une brume épaisse dont je ne parvenais pas à me défaire.

Les ténèbres envahissaient la chambre à l'exception de la table sur laquelle trônait une bougie. Méphisto était assis sur l'une des chaises et faisait danser une petite flamme dans sa main. D'étranges formes valsaient sur son visage, déformant ses traits. L'argent de ses yeux avait repris leur forme solide. Ses prunelles étaient fixées sur moi et attendaient de me voir reprendre connaissance.

Je tentai de déglutir mais ma gorge tiraillait. Malgré le vertige qui me saisit, je me redressai et basculai mes jambes hors du lit. Mes pensées se remettaient lentement en place et je comprenais que Méphisto m'avait trahi. Et cela me laissait un goût amer. Je l'avais cru, je l'avais suivi les yeux fermés sans jamais remettre en doute ses paroles. Le fait qu'il prenne le parti du duc ne me plaisait pas. Si Evangeline avait fui le manoir, c'était bien parce qu'un danger régnait ici. Méphisto avait lui aussi tenté d'échapper au duc des années auparavant, alors pourquoi lui obéissait-il ? Quelque chose clochait sans que je ne comprenne réellement de quoi il s'agissait.

— Helei, j'ai besoin de ton sang.

Méphisto ne ménagea pas ses mots ni son entrée en matière. Je lançai un regard furieux à l'Ombre et sentis la puissance de mes pouvoirs bouillonner dans mes entrailles.

— J'étais inconscient, vous auriez pu en prendre.

— C'est vrai, j'aurais pu.

Méphisto planta ses prunelles dans les miennes et le silence finit par s'installer. Nous ne bougions pas, englués dans l'atmosphère oppressante. J'inspirai profondément, essayant de délier les tensions qui régnaient dans mes épaules. L'angoisse avait scellé ma poitrine et j'eus la désagréable sensation de ne plus pouvoir respirer. L'heure de la cérémonie approchait, je ne savais pas quoi faire pour l'empêcher, ni même quel était mon rôle. Méphisto, comme toujours, semblait lire dans mes pensées.

— Tu n'auras pas grand chose à faire. Contente-toi de répéter la phrase suivante.

Joignant le geste à la parole, il me tendit un billet sur lequel s'imprimait une élégante calligraphie. L'encre brillait encore, signe qu'elle venait d'être déposée sur le papier. Les traits fins désignaient une phrase énigmatique ; « Les Ombres sont nées de la brèche. L'élu nait du sang ». Durant de longues secondes, je dévisageai les lettres, ne disant rien. Alors que le silence devenait pesant, je finis par demander :

— Comment fermer la brèche ?

Méphisto fixa ses prunelles aux miennes.

— Sur le moment, tu sauras.

Alors qu'il détournait le regard, il sortit le matériel nécessaire à une prise de sang. L'aiguille étincela sous la lumière de la bougie et je déglutis. Soudainement faible, je m'assis à côté de Méphisto, attendant qu'il trouve la veine et plante l'aiguille. Tandis qu'il la saisissait, je fermai les yeux, inquiet par les éclats métalliques. Je sentis la pointe percer la peau de l'avant-bras et le sang aspiré par la seringue. Une douleur se fit ressentir alors que Méphisto retirait l'aiguille. Un pansement recouvrit la plaie et je finis par ouvrir les paupières.

L'hémoglobine, étrangement sombre, flottait dans la seringue alors que Méphisto la transférait dans une petite bouteille de verre. Des volutes violacées se dégageaient du liquide et se mêlaient l'une à l'autre, frappant les parois de verre. Le professeur Daergos glissa la fiole dans la poche gauche de son manteau avant de se tourner vers moi.

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant