Helei
Décembre 1876
Le duc braqua son arme sur moi alors que je lâchais le papier. La fureur se lisait dans son regard et son doigt dans la gâchette me laissa entre-apercevoir la mort. D'un geste du canon, il m'indiqua le bol de cristal.
— Sers-toi de ton pouvoir et ramène ma femme !
— Je ne peux pas ! Je ne suis pas l'élu !
Ma voix, partie dans les aigus, se brisa alors qu'un rire cristallin s'élevait. Se répercutant contre les murs et le plafond de pierre, il résonna longtemps et me fit frissonner jusqu'au plus profond de mon être.
— Le pouvoir de l'élu ne sert pas à ça.
Le talon de ses bottes frappait les dalles du sol tandis qu'il s'avançait vers l'autel. Ma lèvre inférieure se mit à trembler et je reculai précipitamment, descendant de la table sacrificielle. Je ne cessais de cligner des paupières abasourdi par ce qui se passait. Il ne pouvait pas... ça ne pouvait pas être réel ! Le duc grogna et renforça sa prise sur le revolver.
— Descends de cet autel, Méphisto, tu vas tout faire rater.
— Bien au contraire.
Le sourire qui s'étirait sur son visage fit pâlir le duc. Il pointa son arme vers Méphisto qui, levant la main, invoqua le vent, son élément de prédilection. Le revolver fut arraché des mains du noble et vola au travers de la pièce hors de portée.
— Vous osez menacer l'élu, alors qu'il pourrait tout détruire. Êtes-vous sûr d'avoir pris la bonne décision ?
— Tu ne peux pas être l'élu !
— Oh vraiment ?
Méphisto ne parut pas décontenancé par les paroles du duc. Ses prunelles brillaient d'une étrange manière et semblaient projeter des taches de lumière sur ses joues. Son aura, habituellement violacée, se délavait et laissait apparaître des filaments d'argent. Alors que le duc d'Antraigues reculait derrière le bloc de pierre contenant le bol, Méphisto se tourna vers moi.
Le corps tremblant, je tentai de m'éloigner de l'autel, mais je semblais statufié, figé par la peur. Sur le dos de ma main, le signe de l'eau, apparu en même temps que mes flammes bleues, se mit à brûler. Inconsciemment, je secouai la main. Cette sensation s'étendit sur ma peau, remontant le long de mon bras, gagnant ma poitrine. La voix de Méphisto me fit frissonner.
— Ton regard en dit long, Helei.
— Vous ne pouvez pas être l'élu, affirmai-je d'une voix peu convaincante.
Méphisto sourit davantage alors que mes pensées se bousculaient. La description de l'élu, lue dans un petit carnet que j'avais trouvé dans la bibliothèque des d'Antraigues, me revint à l'esprit : «... l'argent serait le sang de l'élu. Ses cheveux seraient blancs tandis que les pointes se teinteraient de rouge, comme si elles avaient trempé des heures dans l'hémoglobine... ».
Je n'y correspondais pas et Méphisto non plus. La marque de l'eau, signe distinctif de Bélial Rosegad soupçonné d'être l'élu, était imprimée sur ma main. Mes flammes s'étaient révélées bleues avant de se transformer en vif-argent. Beaucoup d'éléments qui m'avaient désigné comme l'élu.
Un dernier rictus prit forme sur son visage. Notre lien, comme à son habitude, me trahissait et permit à l'Ombre d'accéder à mes pensées.
— Tu te focalises trop sur cette description. Mon aïeul avait pourtant bien décrit l'élu.
Il haussa presque les épaules alors que ma gorge se nouait. Qui évoquait-il par le terme d'aïeul ? Le sang s'était cristallisé dans mes veines et la vérité commençait à se dessiner dans mon esprit. Je tentai de la repousser en même temps que la panique qui m'envahissait.
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L'Ombre du Luxembourg
ParanormalEnfermé depuis son treizième anniversaire dans un monastère, Helei laisse le temps passer tout en servant des sourires polis aux moines. Sage et attentif, il dissimule son activité nocturne derrière son air angélique. Chaque nuit, il emprunte un sou...