Chapitre 1

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Helei

Décembre 1876

La neige s'étalait lentement sur la cour du monastère. L'ennui, toujours de rigueur dans cet endroit monotone, me tuait. Assis dans le couloir, je regardais l'hiver poser son manteau sur les hauts murs de cette prison. Le blanc semblait atténuer l'apparence terne de la pierre. Pourtant, la forteresse me parut grandie, amplifiée par un effet de profondeur.

Les rosiers et les arbustes, eux aussi recouverts de ce nuage immaculé, prenaient l'apparence d'un vieux cimetière. Cet endroit, rendu désert par le froid, abritait le silence. Je tendis l'oreille, aucun son ne me parvint. Un soupire m'échappa alors que l'on m'enserra l'épaule. Mes yeux s'écarquillèrent de surprise.

— Helei, qu'est-ce que tu fais là ? Il est l'heure du déjeuner.

— Je me reposais.

Un moine s'était approché de moi sans que je n'entende ses pas crisser sur le sol de pierre. Il m'adressait un sourire qui se voulut amical, mais je décelai dans son regard un véritable mépris. Ces religieux, qui se contentaient de rictus chaleureux, n'avaient pour leurs pensionnaires que de la rancune et du dédain. Après tout, on les forçait à accueillir de jeunes hommes dès leur treizième anniversaire et de les instruire jusqu'à leur majorité. Un décret avait été établi au Moyen Âge et il continuait d'être appliqué, au plus grand malheur des adolescents. Il ne me restait plus qu'une seule année, mes dix-huit ans approchaient et il me tardait de sortir d'ici.

Ce monastère aux murs de pierres noirs déshumanisait les jeunes adultes et privait les adolescents de leurs pensées. Mais personne ne semblait s'en rendre compte, les moines faisaient leur possible pour garder l'emprise sur nous. Alors que le religieux me poussait en avant, me forçant à avancer, je jetai un dernier coup d'oeil à la blancheur de la neige. La vie reprenait son cours et mon moment de tranquillité se brisa.

Agacé, je me contentai simplement d'avancer, refusant de désobéir. Durant quatre ans, j'avais réussi à gagner les bonnes grâces des moines responsables, il ne fallait pas que je gâche mes chances de sortie. Les hautes portes du réfectoire se dessinèrent devant nous, tout comme l'excitation des autres pensionnaires. Tous, étrangement bruyants, papotaient sans prêter attention aux moines qui tentaient de faire régner l'ordre. Que se passait-il enfin ? Je ne comprenais rien à cette agitation, elle n'avait pas lieu d'être. Emmuré dans mon mutisme, je m'alignai derrière mes camarades et attendis que l'on nous donne l'ordre d'entrer.

— Silence !

La voix du révérend résonna. L'écho renvoya son cri, faisant taire définitivement les piailleries des élèves. L'homme se tenait sur la première marche des escaliers, les mains croisées dans les manches de sa soutane. Ses cheveux, blancs, me faisaient penser à une couronne déglinguée. Il balaya ses « protégés » du regard et ses yeux bleus, habituellement si francs, s'étaient assombris. D'une démarche légère, il descendit les quelques marches qui le séparaient de la haute porte.

Personne ne parlait et tous avaient baissé les yeux, intimidés par le religieux. D'un geste vague de la main, il nous fit entrer dans le réfectoire avant de prendre place auprès de ses sbires.

Le haut plafond amplifiait le bruit rythmé de nos pas. Les murs, dont les pierres poncées s'imbriquaient parfaitement, nous retenaient prisonniers. Des dorures dessinaient des scènes religieuses sur le plafond. Des gravures, modelant des rosaces, descendaient sur les côtés, jusqu'à la limite des façades. En face de nous, un vitrail projetait des raies de lumière colorées sur le sol de marbre. Lissés par les nombreuses semelles, les dalles semblaient accepter les scintillement du jour levant. Longeant les parois crème, des rangées de tables et de bancs n'attendaient que les étudiants. Le bois, rugueux, ternissait la pièce. Des coupelles, en fer, contenaient un bouillon informe qui me répugna lorsque je l'aperçus.

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant