Chapitre 12

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Helei

Décembre 1876

La silhouette se leva du lit. C'était un homme. Ses cheveux, coupés encore plus courts que les miens, durcissaient son visage déjà sévère. Sa mâchoire, aux traits taillés à la serpe, se contracta lorsque le professeur Daergos tendit la main. Une flamme violette s'était animée dans sa paume et semblait prête à brûler le nouvel arrivant. Les yeux de l'inconnu se plissèrent et nous fusillèrent. Leur couleur, d'un bleu glacial, lui conférait une allure inhumaine.

Je reculai, terrifié par la simple présence de cet homme. Même l'aura du professeur Daergos paraissait se ternir. Son charisme et son élégance, qui m'avaient tant impressionné, semblaient remplacés par une fragilité grandissante. Un voile obscurcit ses yeux bicolores et il baissa lentement la main, éteignant la flamme violette.

— Bonjour, David.

— C'est tout ce que tu trouves à me dire après plusieurs semaines d'absence ?

— J'ai été confiné au monastère, sans aucun moyen de vous prévenir.

L'éclair dans les yeux du dénommé David redoubla, consumant leur couleur. Mes jambes me parurent lourdes et je reculai encore, bousculant la table au passage. David se tourna vers moi alors que je me retenais au bois pour ne pas tomber. Son menton était hautainement levé tandis qu'il me jaugeait de ses yeux clairs.

— Qui est-ce ?

— Helei. Il fait partie de notre congrégation.

— Oh, je vois.

Ses yeux, si sévères un instant, se teintèrent d'un nouveau sentiment. Du désir. Je m'éloignais encore de lui, ne voulant pas que cet homme me touche. L'appréhension nouait ma gorge et je tremblais alors qu'il avançait sa main de mon menton. Était-il, lui aussi, une Ombre ? Aucune aura violacée ne l'entourait. Il n'avait pas ce halo mystérieux comme le professeur Daergos. Mes veines se glacèrent et un immense froid cristallisa mon dos alors qu'un rictus étirait les lèvres de David. Je lançai un regard de détresse à Méphisto, espérant qu'il comprenne mon désarroi.

— Sors d'ici, David.

— Sinon quoi ?

— Sors d'ici, je ne me répéterai pas une troisième fois.

Méphisto leva la main et lui indiqua sèchement la porte. L'auréole bordeaux qui entourait sa pupille s'était dilatée et effaçait la partie grise. David s'éloigna de moi et, avant de claquer la porte, lança un dernier regard à son collègue.

— Ne crois pas t'en sortir si facilement, Méphisto.

La porte se referma sans grincer, nous plongeant dans un silence oppressant. Le professeur Daergos s'assit sur le lit, passant sa main dans ses longs cheveux noirs, le regard désespéré. Je restai figé, interloqué par le comportement et l'attitude de cet homme, nommé David. Mon coeur ralentit, recommençant à battre à un rythme régulier.

— Cet homme, David, qui est-ce ? demandai-je.

— Le garde du corps du duc d'Antraigues.

Je haussai un sourcil tandis que Méphisto déboutonnait les boutons argentés de son gilet bleu nuit. Il le lança sur un fauteuil près du lit et, après avoir retiré ses chaussures, s'allongea sur le lit. Celui-ci ploya à peine sous le poids de l'homme. Ses cheveux se répandirent sur l'oreiller, auréolant sa tête d'un soleil ténébreux. Je restai figé, la main sur la table, regardant le professeur qui ne me prêtait plus aucune attention. Un soupire s'éleva.

— Helei, viens t'allonger. Il ne nous reste peu d'heures pour dormir.

Presque mécaniquement, je m'approchai du lit. Mon corps était écrasé par la fatigue et les cendres de l'incendie semblaient coller mes poumons. Le lit, surtout les draps, me parurent moelleux et le sommeil m'emporta avant même que je m'allonge totalement.

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant