Chapitre 7

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Helei

Décembre 1876

Les mains d'Enia s'enroulèrent autour de mon cou alors que je me retournais. Son parfum poivré me chatouilla les narines, me faisant sourire. La jeune fille me fixait amoureusement de ses prunelles noisette. Pour qu'ils ne la dérangent pas, ses cheveux bruns, épais et bouclés, avaient été remontés et fixés avec une pince. Je l'embrassai sur le bout du nez alors que ses lèvres s'étiraient en un sourire triomphant.

— Je ne t'ai pas oubliée, tu as occupé toutes mes pensées.

— Pourquoi n'es-tu pas venu alors ?

Je détournai la tête vers la salle. La musique battait son plein, les gens, bras dessus bras dessous dansaient, virevoltant entre les tables et renversant les chopes d'alcool qu'ils tenaient. Les rires s'élevaient dans la pièce et étouffèrent le malaise qui venait de s'installer entre Enia et moi. Je déglutis, n'osant pas lui avouer les paroles et les doutes qui m'habitaient. Je passai une main dans mes cheveux courts et regrettai de ne pas les avoir un peu plus longs.

— J'ai eu un contre-temps.

— Quoi exactement ? Helei, tu es bizarre.

— Ce n'est rien, mes habitudes ont été un peu... perturbées.

— Comment ça ?

La jeune femme fronça les sourcils et posa sa main sur mon avant-bras. Ses prunelles exprimaient une grande inquiétude et je me forçai à sourire tandis que les mots du professeur Daergos venaient me hanter. «Tu devrais savoir que je suis une Ombre. Et toi aussi ».

— Le frère Daniel a été remplacé par un nouveau professeur, expliquai-je simplement.

— Et vu ta tête, tu ne l'aimes pas beaucoup.

Le visage d'Enia se détendit, comme si mes paroles l'avaient rassurée. Je ne l'étais pas pour autant. Une sensation de chaleur m'étreignait alors que mon corps frissonnait. Un point douleur appuyait dans le bas de mon dos et mes mains tremblaient légèrement alors que je posais ma main sur la joue de ma dulcinée. Elle y joignit sa paume tout en fermant les yeux.

— Quel est son nom ? demanda-t-elle.

— Daergos.

Avec lenteur, Enia fit glisser ma main qui retomba le long de mon corps. Carlos siffla et se mit à rire alors que sa fille, ayant repris possession de sa vue, le fusilla du regard.

— Il s'est vraiment fait engager au monastère ?

— Vous le connaissez ? m'étonnai-je.

Je reportai toute mon attention sur Carlos. Une lueur d'espoir naissant dans ma poitrine, atténuant la douleur qui laminait le bas de mon dos. Le père d'Enia se remit à épousseter le comptoir, l'air taquin.

— Pas personnellement. Il vient quelques fois ici, surtout le soir.

— Et... ça fait longtemps qu'il vient ?

— Oh peut-être deux mois. Il t'intéresse tant que ça ?

Mes pommettes s'empourprèrent et je ressentis un profond malaise rien qu'en imaginant le professeur assit dans cette taverne. Une chaleur morbide se répandait le long de ma colonne vertébrale, se diluant ensuite dans mes jambes et mes bras, puis immobilisant ma nuque. Le haut de mon crâne commençait à fourmiller alors que je déglutissais devant le regard plein de reproches d'Enia. Mon coeur tambourinait dans ma poitrine, si fort qu'il semblait heurter le sternum. Je n'entendais plus que lui, le reste de mes organes semblait ne plus fonctionner.

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant