Méphisto
Décembre 1876
Un bâtisse mitoyenne s'élevait devant nous. Une sorte de brume couvrait le sol et se faufilait discrètement entre les interstices. Les pierres s'entremêlaient au bois et ornaient élégamment la façade.
La douleur pulsait dans mon abdomen. La plaie provoquée par les griffes de l'Abscondam était profonde, laissant le sang glisser hors de la blessure et imbiber mes vêtements. L'humidité collait à ma peau fiévreuse et je tressaillais de douleur dès que mes vêtements effleuraient la plaie.
Désorienté, je lançais des regards autour de moi. L'adrénaline battait en moi et faisait palpiter mon coeur si fort que j'en eus mal à la poitrine. Ma tête était compressée dans un étau, deux points douloureux apparurent au niveau de mes tempes. Ma gorge était sèche, le déshydratation l'avait rendue irritable. Je déglutissais sans cesse, essayant d'amoindrir cette sensation désagréable, mais rien n'y faisait.
Helei supportait toujours le poids d'Evangeline. Après quelques secondes de réflexion, je finis par frapper à la porte. Le choc entre mes phalanges et le bois résonna dans la nuit, si bien que l'on aurait pu nous entendre. J'avais hésité à venir ici, mais j'avais besoin de soins rapidement et seule une Ombre de confiance pouvait m'aider. Le manoir était trop loin et Helei manquait d'expérience, il n'aurait rien pu faire. Une personne, ici à Luxembourg, pouvait me venir en aide.
La porte s'ouvrît lentement et dévoila une petite silhouette ; celle d'un enfant. Ses cheveux châtains foncés, virant presque sur le roux, recouvraient son front pâle et masquaient en partie ses prunelles gris foncé, paraissant bleu nuit selon la lumière. Une faible aura violacée l'entourait, l'un de ses parents étaient une Ombre et c'était d'elle dont j'avais besoin. La peur traversa ses yeux innocents alors qu'il apercevait ma chemise imbibée de sang et mes mains poisseuses.
Je grimaçai avant de pouvoir parler.
— Bonsoir. Où est ton père ?
L'enfant cligna des paupières plusieurs fois avant d'assimiler mes paroles.
— Papa ! Il y a un inconnu qui veut te voir !
Après quelques secondes, durant lesquels je dus m'appuyer contre le montant pour ne pas vaciller, Valéry apparut enfin dans le chambranle de la porte. Ses prunelles, qu'il avait léguées à son fils, se cristallisèrent alors qu'elles se posaient sur ma plaie et sur mes mains.
Il réagit promptement et me saisit à la taille avant de faire signe à Helei d'entrer. La chaleur remplaça immédiatement le froid mordant de l'hiver. Une odeur de repas, que je ne parvenais pas à deviner, assaillit mes narines et menaça de me faire vomir. Le poison de l'Abscondam, présent sous ses ongles, s'insinuait lentement en moi, paralysant mon esprit et limitant mes mouvements.
Ma vision se troublait, alternant entre une brune opaque et les ténèbres. La fièvre s'était généralisée et je tremblais de plus belle malgré le contrôle que je tentais d'afficher. La pièce tournait autour de moi, si bien que je ne savais pas où je me trouvais. Une porte se referma derrière moi. Je me laissai complètement tomber dans les bras de Valéry qui chancela.
— Aide-moi, je ne pourrai pas te porter sur le lit, me murmura-t-il.
Je parvins à me hisser sur le lit, l'aspergeant de sang. Une grimace apparut sur mon visage lorsque le douleur s'intensifia. Valéry ôta mon manteau et déchira ma chemise, révélant la plaie. Il l'observa un instant avant de sortir chercher du matériel. Mon regard embrumé le suivit un instant. Un pic de douleur me submergea et je me mordis la langue pour ne pas hurler. Rapidement, je m'évanouis, ne supportant plus ce lancinant supplice.
Le nuit semblait bien avancée lorsque je repris mes esprits. Désorienté et encore sonné, je mis quelques instants à reprendre mes esprits. La pièce était plongée dans l'obscurité, toute la maisonnée devait dormir.
Prudemment, essayant de ne pas tirer sur la plaie recousue, je me levai. Le sol tangua légèrement avant de se stabiliser. Je me sentais toujours faible, mais je pouvais me mouvoir sans risquer de chuter. Mon pouvoir, mélangé avec celui de Valéry, avait commencé à cicatriser ma blessure, bientôt, il ne resterait de cette attaque qu'une fine ligne blanche. Je passai mon manteau déchiré et taché de sang avant de me diriger vers la sortie.
Le souffle froid de la nuit me fouetta le visage alors que je resserrais les pans de mon manteau pour me tenir au chaud. Comme chaque soirée, les pavés de Luxembourg étaient recouverts par une brume opaque. Des griffes glacées s'accrochaient au tissu de mon pantalon et rigidifiaient la matière. Le vent faisait voler mes cheveux, ils frappaient parfois mon visage, voilant mes yeux un court instant.
Je progressai ainsi, malmené par mon élément de prédilection, jusqu'au manoir du duc d'Antraigues. Alors que je remontais l'allée menant à l'entrée principale, je m'arrêtai subitement. La sinistre façade du bâtiment me faisait face. Les lumières étaient éteintes, aucun rayon ne filtrait par les fenêtres. De la neige tapissait les marches de marbre, les ternissant. Le rosier qui grimpait contre les pierres semblait mort.
Je restai figé un instant devant cette vision de désolation et de mort. Pourquoi était-je revenu dans cet endroit si sinistre ? Je n'avais aucune obligation envers cette famille et pourtant, j'avais répondu présent à l'appel au secours d'Evangeline. Lorsque toute cette histoire serait terminée, je partirais et me ferais oublier des Ombres et de la congrégation luxembourgeoise.
Secouant la tête et oubliant mon idée d'évasion, je franchis les derniers mètres qui me séparaient du vestibule. La porte se referma sans bruit derrière moi et je soupirai alors que je me dirigeai vers l'escalier. D'un mouvement de la main, j'illuminai les candélabres. La lumière violacée se répandit dans l'entrée et éclairait le haut de l'escalier du haut duquel m'attendaient David et le duc d'Antraigues.
— Où sont ma fille et l'élu ?
Un long soupire m'échappa alors que je remettais de l'ordre dans mes cheveux. Le duc ne me laisserait aucun répit, il n'avait pas apprécié ma fuite douze ans auparavant. Essayant de faire fi du regard sévère du duc et de celui dévastateur de David, je répondis calmement.
— Chez Valéry. Il est temps d'organiser votre cérémonie. Evangeline sait ce que vous préparez et n'est pas encline à vous suivre.
— Très bien. David, prépare ce qu'il faut. Quant à toi, dit-il en se tournant vers moi, ramène-moi ma fille et cet élu. De force s'il le faut.
— Bien, Monsieur.
J'attendis que les deux hommes aient quitté le vestibule pour rejoindre mes appartements. Alors que je fermais sèchement la porte, j'attirai à moi de l'encre et du papier. Il était temps d'écrire ma confession avant de retourner chercher Helei et Evangeline.
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L'Ombre du Luxembourg
ParanormalEnfermé depuis son treizième anniversaire dans un monastère, Helei laisse le temps passer tout en servant des sourires polis aux moines. Sage et attentif, il dissimule son activité nocturne derrière son air angélique. Chaque nuit, il emprunte un sou...