Chapitre 35

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Helei

Janvier 1877

Je ne saurais dire combien de jours s'étaient écoulés depuis la fermeture de la brèche. La neige avait immobilisé le Luxembourg. Le manoir dormait dans le manteau blanc.

Assis devant la fenêtre, je regardais inlassablement les flocons blancs tomber. Je ne parvenais pas à détacher mon regard de la pleine blanche et de l'horizon grisâtre. La tristesse ne m'étranglait plus dès que mes pensées dérivaient vers Méphisto. Certes, elle entourait toujours mon coeur, mais avait fini par panser la blessure qui l'avait déchiré.

Je n'avais pourtant pas trouvé le courage de me rendre sur la tombe de Méphisto, érigée dans les sous-sols. Je ne m'y sentais pas prêt et je voulais respecter la demande de mon ancien mentor. Valéry m'avait assuré que Méphisto avait été mis dans un cercueil et que les tradition des Ombre avaient été respectées. Il n'avait pas voulu m'en dire plus.

En attendant le représentant de la congrégation helvétique, j'étais resté au manoir des d'Antraigues auprès d'Evangeline. Le duc ne faisait plus que de brèves apparitions, les blessures infligées par Méphisto l'avaient paralysé, ses jambes ne répondaient plus. Il ne supportait pas l'idée de se montrer diminué et seul l'un des domestiques pouvait le voir. 

Les explications de Méphisto avaient apaisé mon esprit, mais n'avait pas fait disparaitre le goût amer de la trahison. La marque de l'eau sur ma main n'avait pas disparu et continuait de brûler à certains moments. Je ne sentais plus cette puissance millénaire seul mon propre pouvoir coulait dans mes artères. 

Lorsque les chutes de neige cessaient, je sortais sur les marches de marbre prendre l'air. Je fixais l'horizon durant de longues minutes, attendant l'arrivée du représentant helvétique. Les flocons recommençaient toujours à tomber avant que je n'aperçoive quelqu'un. Je refusais de croire que Méphisto m'avait à nouveau menti.

— Helei ?

Evangeline me tendit une tasse de thé que je saisis délicatement. Les yeux bleus de la duchesse brillaient d'inquiétude, elle avait peur que je ne fasse une bêtise. Je lui adressai un sourire rassurant.

— Je réfléchissais simplement.

— À quoi ?

— À ce que je vais faire une fois que j'aurais rencontré ce représentant.

La jeune duchesse inclina la tête, sceptique. Elle ne voulait pas que je parte du manoir et elle aurait tout fait pour que je reste. Mais tant de choses s'étaient passées ici, tant d'émotions négatives se dégageaient de ce lieu. Je ne supporterais pas de vivre dans ce climat.

La vie que j'avais vécue au monastère s'était effondrée depuis que Méphisto était entré dans ma vie. Et les quelques souvenirs que j'avais construits en sa présence s'écroulaient avec sa mort. Il ne me restait plus rien. Tout le monde me pensait mort, mes parents, Enia et son père, Eddy. Les personnes que j'avais rencontrées dans le passé y resteraient, je devais construire mon avenir avec mes nouvelles connaissances et sans Méphisto. Je ne savais cependant pas où construire cet avenir et j'attendais ce représentant pour prendre une décision.

Evangeline ouvrit la bouche mais la referma aussitôt lorsque la porte s'ouvrit, laissant entrer Valéry. Ses cheveux et son manteau beige étaient recouverts de neige. Les flacons s'accrochaient au tissu et, alors qu'il posait ses prunelles anthracite, j'eus une impression de déjà-vu, ce qui me noua la gorge. J'expirai difficilement, repoussant les émotions négatives qui me venaient. Des images de Méphisto me revenaient à l'esprit et je dus prendre sur moi pour ne pas fermer les paupières. Ma gorge serrée m'empêchait de déglutir correctement et les larmes m'étaient montées aux yeux.

L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant