Helei
Décembre 1876
La cathédrale s'imposait devant nous telle la mer rouge face à Moïse. Au dessus de la haute porte à double battant, une rosace gravée dans la pierre pâle laissait filtrer les rayons du soleil. Méphisto s'avança vers les marches qui nous menaient à l'entrée. Ses gestes paraissaient précipités et trahissaient son empressement à finir cette journée.
La porte de bois foncé s'ouvrit dans un grincement qui sembla se répercuter dans mon esprit. L'écho de nos pas nous était renvoyé par les murs de pierre. Nous contournâmes des colonnes embellies de sculptures et de fioritures et nous engageâmes entre les allées de bancs. Sur les dalles du sol, des taches de lumière dansaient alors que les rayons traversaient la rosace de l'entrée. Au dessous, l'orgue joignait ses reflets d'argent à ceux de l'astre du jour.
Je levai les yeux vers le plafond sculpté, appréciant la finesse des traits. Je ne remarquai qu'après un instant que Méphisto avait déjà rejoint l'autel de l'autre côté de la nef, dans le coeur. Rapidement, je saluai le Seigneur et courus rejoindre mon mentor. Il se tenait derrière le cercueil de pierre et semblait analyser les gravures qui ornaient l'un des côtés. Je m'approchai lentement tandis que les doigts de Méphisto effleuraient le bas-relief.
— Que faites-vous ?
— La pierre semble plus abîmée de ce côté, constata-t-il.
Il allait poursuivre lorsqu'un déclic se fit entendre. Je sursautai alors qu'une dalle, entre Méphisto et moi, s'enfonçait dans le sol, révélant l'entrée d'un passage. Le professeur Daergos se pencha au dessus du trou béant tandis qu'un vent froid venait nous fouetter le visage. L'Ombre posa sur moi un regard satisfait alors qu'un bref sourire se dessinait sur ses lèvres.
— Après toi, Helei, m'invita-t-il d'un signe de la main.
— Vous ne voulez pas y aller en premier ?
—Ta peur te perdra, dit-il simplement après avoir esquissé un sourire moqueur.
Je n'eus pas le temps de répliquer, il s'était déjà engagé dans le sombre passage. La dalle se remit en place alors que je descendais les premières marches. Les ténèbres fondirent sur nous tel un aigle sur sa proie. Je me retrouvai aveugle dans l'obscurité oppressante.
Une désagréable odeur de moisissure assaillit mes narines alors que les dernières bribes de lueur disparaissaient de mon champ de vision. Au loin, dans le passage, de l'eau gouttait à un rythme régulier, comme si elle était accordée au battement de mon cœur. Une légère brise froide s'insinuait sous mes vêtements, caressant ma peau et me faisant frissonner.
— Méphisto ?
Ma voix tremblait, l'exigu passage semblait se refermer sur moi, les ténèbres se pressaient à mon corps et voulaient m'étouffer. Outre la panique douloureuse que je ressentais, s'ajoutait une terreur que je ne connaissais pas. Une sensation de lâcher prise, une sensation qui se rapprochait de celle de la mort. Et la pression derrière mes paupières m'indiqua que ce sentiment ne m'appartenait pas. Mon coeur s'emballait alors que je tentais de prendre repère dans cet endroit. Mes doigts effleuraient la pierre froide et humide contre laquelle avait poussé de la mousse. Dans ma gorge, un noeud empêchait le peu d'oxygène présent dans le souterrain de passer dans mes poumons.
La flamme violette de Méphisto m'apparut comme un phare au milieu d'une tempête. Elle projetait des ombres sur le visage de mon mentor et même si elle réchauffait sa peau, je sus qu'il avait blêmi. Ses yeux brillaient de l'éclat d'une lame et se posèrent sur moi avec l'intention de me rassurer. Au fond de ses prunelles, je lus une sourde angoisse, une terreur qui ne cadrait pas à ce que Méphisto me montrait. Son visage paraissait si calme, seul cet éclat indiquait qu'il ne s'agissait que d'un masque.
— Helei, tu ne crains rien. Tu as déjà emprunté des souterrains bien plus étroits.
Difficilement, je hochai de la tête, essayant de refluer l'effroi que Méphisto me transmettait. J'inspirai profondément, du moins je tentais.
— Avançons, l'oxygène risque de se raréfier.
Après un dernier regard bienveillant, Méphisto s'engagea dans le couloir qui se déroulait devant nous. Ses flammes violettes coloraient les murs gris d'une drôle de couleur. Le peu de mousse qui recouvraient les murs me paraissait pourri. Les cheveux de mon mentor étaient parsemés de reflets rougeâtres et se balançaient calmement dans son dos.
De petits débris tombèrent sur mon crâne. Légèrement agacé, je passai un main dans mes cheveux qui avaient déjà repoussé de quelques millimètres. Une substance gluante colla à mes doigts et je compris avec effroi qu'il s'agissait de sang. Mon corps se mit à trembler alors que je levais la tête vers le bas plafond. Des filets d'hémoglobine coulaient entre les dalles qui formaient les hauteurs. Les gouttes carmin glissaient contre la pierre avant de finalement se détacher et de tomber sur le sol.
Un cri de terreur resta bloqué au fond de ma gorge alors que je frottai frénétiquement mes doigts contre mon pantalon, tentant vainement d'enlever le sang. Des craquements résonnèrent tandis que des fêlures apparaissaient sur la pierre. La panique se diluait dans mes veines, mon coeur tambourinait si vite que je ne pouvais plus distinguer chaque battement. Mon corps était tétanisé, je ne parvenais plus à le faire bouger. Je sentais le danger, mais je ne réussissais pas à y faire face.
Des blocs de pierre se détachèrent du plafond et manquèrent de peu de m'écraser. Je reculai vivement, l'adrénaline brisant mon état léthargique. Une force surnaturelle sembla fondre sur moi, s'accrochant à mon nombril et me tirant vers Méphisto. Le pouvoir de mon mentor agissait sur moi comme un aimant et je percutai son corps avec violence. Méphisto fut projeté en arrière. La semelle de ses bottes crissa contre le sol alors que je m'y fracassais le crâne.
Après plusieurs secondes, je repris finalement mes esprits. Ma tête me parut étrangement lourde, l'impact avec la pierre m'avait sonné. L'effondrement d'une partie du plafond avait ouvert un autre passage. La flamme violette de Méphisto s'était éteinte, seuls quelques résidus d'étincelles éclairaient faiblement le passage. L'angoisse flamba immédiatement dans ma poitrine alors que je réalisais la disparition de mon mentor. Je me relevai précipitamment tout en essayant d'allumer une flamme pour m'éclairer. La panique s'était répandue dans mon corps et le faisait trembler sans que je ne le remarquer vraiment.
— Helei, cesse de paniquer et viens m'aider.
— Méphisto ?
— Je suis là.
Ma voix tremblait et je ne compris qu'en voyant les phalanges de mon mentor que le sol s'était dérobé sous ses pieds. L'effondrement du plafond avait fragilisé la pierre et de nombreux endroits du passage s'étaient affaissés. Un profond gouffre s'ouvrait devant moi et Méphisto avant réussi de juste à s'accrocher au bord. Sans réfléchir plus, je m'approchai de lui et tentai de le remonter en tirant sur ses poignets. Mais il était trop lourd, je ne parvenais pas à le tirer à moi. Les doigts de mon mentor saignaient, irrités par la pierre. Son visage paraissait pourtant serein, comme s'il était persuadé que je parviendrais à le sauver. Ses yeux argentés et pourpre étaient fixés derrière moi et la surprise s'y lut alors qu'un étrange reflet prenait forme dans ses prunelles.
Un éclat argenté et un grognement féroce m'indiqua la présence d'un monstre derrière moi. Je n'avais pas entendu l'Abscondam arriver. L'arme de la créature me blessa à l'épaule avant même que je ne puisse me retourner. La douleur irradiait de ma blessure et j'eus de la peine à ne pas lâcher Méphisto. L'Ombre me tira alors à lui et j'écarquillai les yeux alors que nous chutions tous les deux dans le gouffre de ténèbres.
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L'Ombre du Luxembourg
ParanormalEnfermé depuis son treizième anniversaire dans un monastère, Helei laisse le temps passer tout en servant des sourires polis aux moines. Sage et attentif, il dissimule son activité nocturne derrière son air angélique. Chaque nuit, il emprunte un sou...