Chapitre 30

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Helei

Décembre 1876

Valéry entraina Méphisto avec lui. Figé, je me mis à trembler, ne supportant plus le poids d'Evangeline. La tension retombait enfin et mon corps, épuisé, me le faisait ressentir.

— Bonsoir.

Je clignai plusieurs fois des paupières, réalisant enfin que je n'étais pas seul. Une femme était assise à la table et m'adressa un sourire chaleureux. Ses longs cheveux châtains cascadèrent dans son dos alors qu'elle se levait. Elle posa une main sur son ventre arrondi tout en me dévisageant de ses grands yeux verts. Son aura calme semblait scintiller autour d'elle, ce n'était pas une Ombre, seulement une femme enceinte.

— Ton amie doit se reposer, viens avec moi, je vais vous montrer une chambre.

Je hochai de la tête et m'empressai de la suivre tandis que le petit garçon qui nous avait ouvert s'asseyait. La femme de Valéry ne monta pas les escaliers et ouvrit une porte en bas de la rampe, révélant une chambre simple, meublée d'un lit et d'un bureau. Exténué, je déposai Evangeline sur le lit et la couvrit de la couverture rêche.

Je la contemplai un instant, m'excusant silencieusement de tout ce qui s'était passé. Après quelques secondes, je sortis et vins m'asseoir près du petit garçon. Ses yeux, si semblables à ceux de Valéry, se posèrent sur moi et m'interrogèrent.

Les coudes posés sur la table, je pris ma tête entre mes mains, essayant d'atténuer la douleur qui s'y était logée. Cette souffrance psychologique me désorientait, je ne savais plus bien pourquoi nous étions là. Méphisto nous l'avait-il même dit ? Ma mémoire me faisait défaut. Je déglutis difficilement, une sorte de noeud compressait ma gorge et j'eus envie de pleurer. La fatigue probablement. Mes mains sur mon front me paraissaient glacées, comme si j'avais de la fièvre, peut-être était-ce le cas, je n'en savais rien.

Un bol apparut dans mon champs de vision et je relevai la tête, ce qui me demanda un effort conséquent. Je me heurtai au regard vert de Mélania d'Argent. Elle me sourit.

— Tu devrais manger, tu as l'air épuisé.

— Merci.

Je n'avais pas le courage, ni même l'envie, de refuser. Sans bruit, je me mis à manger sous le regard bienveillant de Madame d'Argent. Un raclement de gorge se fit entendre avant que la voix enfantine du petit garçon s'élevait.

— Qui es-tu ?

Confus, je ne dis rien, ne sachant que répondre, peut-être juste mon prénom ? La porte s'ouvrit et Valéry entra. L'Ombre paraissait épuisée et ses prunelles grisâtres s'étaient ternies. Du sang coulait sur ses mains et il l'essuya sur un torchon.

— Helei est l'apprenti de Méphisto.

— Comment va-t-il ? m'enquis-je précipitamment.

— J'ai désinfecté la plaie avant de la suturer. Ça devrait aller.

Je regardai Valéry alors qu'il se lavait les mains. Où avait-il appris à suturer ? Il n'était pas médecin pourtant. Un profond soulagement m'envahit, Méphisto allait s'en sortir, c'est tout ce qui comptait. Le silence s'étirait entre nous et je reposai ma cuillère. Mélania finit par se lever et entraina son fils à l'étage, tout en me souhaitant une bonne nuit.

Valéry prit place face à moi et soupira. Les mèches blanches de ses cheveux paraissaient grises. Son aura violacée s'était elle aussi ternie. Ce détail piqua mon attention, quelque chose n'allait pas.

— Comment avez-vous pu guérir Méphisto aussi rapidement ?

— J'ai injecté une part de ma magie pour accélérer la cicatrisation.

J'écarquillai les yeux, impressionné. Où avait-il appris ça ? Grandement intéressé, je ne pus m'empêcher de l'interroger et de poser ma question.

— Chaque Ombre doit pouvoir se servir de son pouvoir afin de soigner un collègue. Quelque que soit la congrégation à laquelle nous appartenons, nous l'apprenons.

J'arquai un sourcil. Il y avait donc plusieurs congrégation d'Ombres, je pensais que celle du Luxembourg était la seule...

— Les Ombres sont-elles présentes partout dans le monde ?

— Je ne sais pas, répondit-il en haussant les épaules. En Europe, seulement cinq pays comptent une congrégation. Chacune a élu un représentant, ils se réunissent quelques fois par année pour discuter des attaques d'Abscondams.

— Le duc d'Antraigues est-il donc le représentant du Luxembourg ?

— Il a hérité de ce titre car ses ancêtres étaient des Ombres reconnues. Le duc n'a aucun pouvoir mais il est influent, il risquerait de nous détruire si nous venions à protester. Les Ombres n'osent pas se rebeller, elles respectent trop ses prédécesseurs.

Valéry détourna le regard. Son aura violacée ondulait et crépitait sous l'effet de la colère et de la haine qu'il ressentait vis-à-vis du duc. L'autorité du noble ne reposait donc que sur le respect que vouaient les Ombres à la famille d'Antraigues. Le comportement du duc s'expliquait. L'élu menaçait son statut déjà précaire de représentant, voilà pourquoi il voulait garder la main-mise sur mon pouvoir. S'il l'obtenait, il assiérait définitivement son autorité.

— Les Ombres luxembourgeoises ont confiance en l'élu. Il est celui qui fermera la brèche et redonnera aux Ombres une vie simple.

Je fermai les yeux alors que l'inquiétude montait en moi. Les Ombres attendaient un élu puissant capable de fermer une brèche qui permettaient aux Abscondams de venir sur terre. Mes pouvoirs n'étaient pas assez acquis pour que je puisse le faire. Je ne servais à rien.
J'avais la désagréable sensation de porter le poids du monde sur épaule. Malgré l'angoisse qui étreignait ma poitrine, je me forçai à sourire. Le regard que m'adressa Valéry le fit vite disparaitre, il n'était pas dupe.

— Allez vous reposer, vous en avez besoin, dit-il simplement avant de se lever.

Je le regardai s'éloigner. Ma peau fourmillait comme si l'on m'avait plongée dans de l'eau glacée. La fatigue pesait sur mes épaules et engourdissait davantage mon corps. Mon coeur battait incroyablement vite, le désespoir avait remplacé la raison. Je déglutis, essayant de dissoudre la noeud qui bloquait ma gorge. Un instant, je regrettai d'avoir cru Méphisto. Jamais je n'aurais dû le suivre.

Je soupirai, dépassé par les événements. Mon être réclamait du repos, mais je savais bien que je ne trouverais pas le sommeil, mon esprit cogitait trop. Une larme dévala ma joue. Je ne l'essuyai pas et la laissai s'écraser sur la table. Comme elle, je me briserais à la fin de cette journée.

 Comme elle, je me briserais à la fin de cette journée

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L'Ombre du LuxembourgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant