Mon téléphone sonne. Le nom de Karl s'affiche à l'écran.
- Allô ?
- Ouais salut, tu fais quoi la ? Tu es chez toi ?
- Hum... oui pourquoi ?
- Ça te dit d'aller à la chicha avec moi Jérôme et Théo ?
- Tu me cherche pour quelle heure ?
- Je pense être la dans une demie heure.
Je raccroche, avec cette boule d'adrénaline dans la gorge. Je vais vraiment faire ça ? Je vais dans mon dressing et parcours les étagères de vêtements. Je trouve une robe grise, simple, et l'enfile. J'hésite à prendre mon téléphone. Je déteste mentir à maman, mais j'ai besoin de cette soirée, j'ai besoin de me couper du monde, de pouvoir, ne serait-ce qu'un instant, ne plus avoir mes pensées focalisées sur le visage de Maël, qui est là, encore intact. J'écris donc Je vais passer la soirée chez Léa, elle habite dans le quartier. Je ne sais pas encore si je passe la nuit là-bas ou pas, je préfère te prévenir. J'ai mal au ventre. J'ai mal de trahir la confiance de maman. Mais le temps passe, Karl ne devrait plus tarder. Je me sers un verre de vodka, que je peine à avaler, puis je vais me maquiller. J'opte pour un peu de mascara, un rouge à lèvres bordeaux et un chignon. Et pour la toute première fois depuis ces quatre mois, je me sens belle. Je me contemple dans le miroir, et vois celle dont j'ai toujours rêvé d'être. Cette femme, belle, souriante, sans cernes ni larmes... la sonnerie de mon téléphone me sort de mes songes. C'est Karl.
- Finalement on y va pas.
Une vague de déception m'envahit.
- En l'occurrence, on peut passer une soirée tranquille chez moi, t'as du soft ?
- Ouais... j'ai soda, jus d'orange et une bouteille de vodka si vous voulez.
- Ah nickel ! Écoute je suis chez toi dans cinq minutes.
- Ne viens pas devant la maison, je suspecte les voisins de me surveiller. Arrête toi un peu plus haut dans la rue.
J'attends dans le froid. L'angoisse est à son comble, l'angoisse d'une soirée inconnue. « Ça va être une super soirée, ça va être une super soirée... » je me répète ces mots, en boucle, jusqu'à ce que j'aperçoive les feux de la voiture de Karl au loin. Mais, à ma grande surprise, une fois dans le véhicule, mon stress a quasiment disparu.
Arrivée chez Karl, je ne suis pas très bien accueillie. Jérôme et Théo sont froids et distants, dans le salon règne une ambiance de mort. Chacun sur leurs téléphones respectifs, les minutes passent et j'ai l'impression de ne pas vraiment être à ma place, jusqu'à ce que Jérôme propose d'aller chercher à manger.
- Mais bien sur ! Tu vas partir avec ta voiture et tu vas plus jamais revenir, s'écrie Karl.
Je m'étrangle à la suite de ces paroles. C'est vrai, malgré une ambiance qui ne bat pas son plein, j'apprécie leur compagnie, y compris celle de Jérôme.
- Mais non ! Tu sais quoi, je vais te laisser mon téléphone, et je vais prendre ta voiture, comme ça tu es sur que je revienne.
Après avoir prononcé ces mots, Jérôme prends la commande de tout le monde et part avec Théo. Je profite de ce moment seule avec Karl pour lui sous tirer quelques informations à propos de ce bel homme qui partage ma soirée.
- Il est vraiment beau en fait Jérôme, il a quelqu'un en vue ?
- Non je crois pas, pourquoi tu veux le pécho ?
- C'est pas ce que j'ai dit ! Même si au fond je l'ai pensé très fort.
Je ris. Ce moment seule avec Karl est particulièrement gênant, car il ressent à mon égard, des sentiments non réciproques. Ça fait quelques années que je le connais mais nous n'avons jamais été proches. Il est moche et bête. Le but de sa soirée est sûrement de sous tirer quelques actes de ma part, mais ce qu'il ne sait pas, c'est que j'ai réalisé que j'éprouve une attirance particulière en vers Jérôme. J'ai d'ailleurs hâte qu'il rentre. Non pas pour manger, mais pour que cette douce soirée au goût inconnue continue son court, et pour pouvoir bénéficier d'un quelconque rapprochement avec lui.
Les minutes s'écoulent, et après quelques discussions sans queue ni tête et une partie de console avec Karl, nos deux amis reviennent.
Ses cheveux châtain foncés me donnent envie de passer ma mains sur sa tête, et le caresser encore et encore, et me plonger dans son regard, dans ses yeux verts clairs, en embrassant ses douces lèvres... Jérôme me sort de mes songes en me tendant mon menu. Je mets de la vodka dans mon Ice Tea, et au moment de reposer la bouteille, son regard transperce le mien.
- Tu peux me servir un verre ?
- Euh... ouais...
J'ai l'impression de ne savoir articuler que ces mots. Jérôme n'est pas un gars pour moi, il ne s'intéresserait jamais à une fille comme moi, il est bien trop beau, bien trop connu, trop demandé... m'aventurer dans ces eaux là ne ferait qu'accentuer les douleurs incessantes que m'a causé la rupture avec Maël, mais, une petite voix en moi me crie d'essayer. J'ai envie de goutter à de nouvelles saveurs, de mordre d'autres lèvres que celles de mon premier amour. Et je sais très bien que si ce petit jeu fini mal, j'en crèverais. Mais c'est comme si j'avais besoin de perdre mon esprit dans une autre souffrance, une différente de celle que j'endure. Une souffrance douce mais amer à la fois, comme celle qui envahit doucement mon cœur lorsque mes pupilles croisent les siennes, et que je me dis que jamais une fille comme moi n'aura la chance de toucher un homme comme lui.
Karl lance un film d'horreur que personne ne regarde. Après quelques verres, et quelques joins, l'ambiance est magnifiquement agréable. Entre les petites moqueries au sujet de la « relation » que je partage avec Karl, le fait que mon cerveau ne marche pas comme il le devrait, les rires et les discussions deviennent de plus en plus approfondies. Et lors d'un débat au sujet de la taille parfaite du pénis de l'homme, je remarque les regards incessants de Jérôme. Suis-je paranoïaque ? Lorsque nos regards se croisent, et que ses lèvres laissent place à un énorme sourire, je sens des décharges secouer la totalité de mon corps. Le temps passe et passe. Je suis désormais allongée aux côtés de cet homme. Et sous un élan de je ne sais quelle émotion, je lui prend sa casquette. Il se redresse, et explose de rire lorsqu'il la voit su ma tête. Il est vrai que toute sorte de chapeau sur un chignon ne donne pas systématiquement l'effet demandé. Et c'est ainsi que commence cet échange incessant entre lui et moi. En observant ses cheveux, à quelques centimètres de mes cuisses, je meurs désormais d'envie d'y passer mes mains, de me pencher, de l'embrasser de toutes mes forces. Et d'un geste brusque, il reprend sa casquette qui logeait sur ma tête. Je prends alors mon téléphone et lui tape un simple mot Donne ! Après deux musiques et un fou rire il me répond Elle s'appelle revient. J'ai un frisson lorsque je le vois s'approcher de moi. Son visage n'est qu'à quelques centimètres du mien. Il pose alors délicatement la casquette sur ma tête, en repoussant une mèche de cheveux de mon visage, accompagné de son sourire angélique. Je rêve. Une vraie scène de film. Ses lèvres entre ouvertes laissent apercevoir ses dents blanches, et sa petite mèche de cheveux qui lui tombe devant l'œil me rend dingue. Ce moment magique est interrompu par la voix de Karl qui nous propose une version plus amusante du jeu de la bouteille. Il prend une feuille de papier A4, et la divise en six parties, ou il note : Relance, passe ton tour, smack, bisou dans le cou, galoche de cinq secondes et galoche de dix secondes. L'idée d'embrasser Jérôme me semble irrévocablement délicieuse. Mais celle d'en faire de même avec Karl me repousse d'une force inimaginable. Je me dévoue alors pour jouer la première. Je tombe, évidement, sur un smack avec Karl.
- Il n'y a pas un échappatoire ?
- Ah non, répond Jérôme, toujours aussi souriant, c'est soit tu l'embrasses, soit tu bois une gorgée de vodka pure.
Je prends la décision de boire. La vodka me brûle la bouche, la langue, la gorge. Mais cette sensation m'est désormais familière. C'est à cause de Maël que j'ai commencé à boire. C'était en décembre, l'année dernière. Nous buvions dans ma chambre, juste tous les deux et ce, tous les week-ends. Puis après son départ, je n'ai trouvé que cet échappatoire. Je buvais seule, dans ma chambre. L'alcool m'a, en quelque sorte, sauvé. J'aurai sans doute commis l'irréparable, sans cette anéstesie du cœur.
Après une dizaine de passe ton tour, de quelques smack avec Théo, et pleins d'actions que les garçons refusent d'exécuter entre eux, je tombe sur galoche de cinq secondes avec Jérôme. Mon regard croise le sien. Et dans ses yeux je lis le désir, comme s'il enviait autant que moi ce qui allait se produire. Je lui fais alors comprendre avec un regard de prendre son téléphone, ce qu'il exécute, et je tape :
- On met pas la langue, on fait semblant.
Il répond alors
- Juste un smack si tu veux.
Karl et Théo nous regardent, il est évident qu'ils ne comprennent pas.
- Mais non le smack c'est pour les puceaux.
Mon cœur bat à la chamade.
- Bah je t'embrasse alors.
Mon cœur hurle.
- Vas y viens.
Je n'y crois pas. Il se lève du canapé, s'approche de moi. Sa chaleur, sa présence, aussi proche de mon corps éveille des choses enfouies depuis des mois. Je passe ma main dans ses cheveux et sa bouche entre en contact avec la mienne. Et c'est ainsi que le temps se figea. Il m'embrasse d'abord, d'une passion démesurée, il a un goût indescriptible, il est délicieux. Puis je sens sa langue entre mes lèvres, sa langue chaude, saliveuse, qui se mêle à la mienne avec cette force et cette douceur à la fois. Tout ce qui avait traîné dans mon esprit au cours de ces quatre derniers mois n'était que poussière et illusion. Jérôme est bien plus savoureux, il a ce goût de danger, ce goût que tant de fille rêveraient de goûter, mais que peu y parviennent. Il est cet inaccessible. Notre baiser ne dure que quatre secondes, mais qu'est-ce qu'il est doué. Malgré ce que j'ai pu ressentir lors de ces instants, je n'ai pu éprouver le « vertige » comme Maël l'appelait. C'est comme si mon cœur n'était pas en accord avec ma tête, et que, deux parties de mon corps, en lui même, ressentent des choses différentes.
Après des multiples esquisses de Karl, et quelques gorgées d'alcool dans l'estomac, la bouteille fait son choix. Je dois embrasser Jérôme dans le cou.
- Il faudra assumer ce qui va se passer après ça, fit Jérôme.
Je suis sidérée par ses paroles. La vodka déjà dans mon sang, me crève d'envie de lui sauter dessus et de lui dévorer le cou, mais le peu de sobriété qui me reste est avide de chasteté et me prie de refroidir ce défi autant que possible. Le regard de Jérôme est brûlant, et le mien doit l'être aussi. C'est fou comme un lien s'est tissé entre lui et moi au cours d'une seule soirée. Karl me fait signe de me dépêcher. Je regarde mon téléphone. Putain il est déjà une heure quarante cinq. Je cède alors à cette putain de sobriété, et je saute sur Jérôme. Lorsque ma bouche entre en contact avec sa peau salée, je perds le contrôle de moi même. Je n'ai embrassé personne comme ça à part Maël. Et, bizarrement, je ne m'imagine pas embrasser Maël à cet instant. C'était bel et bien Jérôme qui attisait mon désir. Connaissant mes talents pour embrasser, je veux lui montrer de quoi je suis capable, que la petite gamine de quatorze ans, d'un monde totalement différent du sien, peut aussi rendre fou un homme rien qu'avec sa bouche. Ma main parcours son cuir chevelu, et mes dents entrent à l'encontre de sa peau, je sens sa respiration s'accélérer, comme un rythme sans fin, comme un morceau qu'on joue de plus en plus fort, et plus intensément que la précédente fois. Voulant éviter à tous prix une marque sur son cou, je m'arrête.
- Putain de merde Mia!
- Quoi... dis-je, gênée de mon emportement.
- Tu embrasses divinement bien bordel !
- Merci...
Il est subjugué, il est clair qu'il ne s'attendait pas à ce que je l'embrasse de la sorte.
Et comme si la bouteille voulait nous faire passer un message, nous tombons tous les deux sur un smack.
- Encore ! Je m'exclame.
- Aller viens, on a l'habitude maintenant.
Il a un peu raison, après tout, ce n'est qu'un smack, après ce que nous venons de faire. Je me penche sur lui, et lorsque mes lèvres entrent en contact avec les siennes, il me prend la tête, me retient, et m'embrasse, passionnément, la voix de Karl résonne au loin.
- Eh ! Vous étiez censé faire un smack, pas baiser !
La frustration est palpable, mais je m'en fou. Je suis là, avec la bouche de Jérôme qui ne cesse de m'embrasser, qui ne veux plus me laisser partir. Putain de merde ça y est. Je la ressens enfin cette putain de palpitation au cœur. Je voudrais qu'il m'embrasse, sans plus jamais s'arrêter, passer notre vie à nous embrasser, pour l'éternité. Mais notre doux baiser s'achève.
- Aller Mia, j'ai tourné la bouteille pour toi, tu dois m'embrasser dans le cou.
Non, par pitié pas Karl. Je ne peux plus toucher Karl après ça. Jérôme en rajoute une couche.
- Je te préviens si tu touches Karl je pourrai plus t'embrasser après.
- Et t'as plus le droit de boire maintenant ! Dit cet espèce de gros lard.
- C'est une nouvelle règle ? Je bois si je veux en fait, et là, en l'occurrence, j'ai pas franchement envie de t'embrasser le cou. C'est quand la dernière fois que tu t'es douché ?
- Il y a peu près trois semaines !
Jérôme rattrape ses mots lorsqu'il se rend compte que cela ne me fait pas rire du tout.
- Il s'est douché ce matin.
- Bon OK mais juste un smack.
- Ah non ! Tu me fais comme à ton homme !
- Putain ta gueule Karl.
J'ai envie de vomir. Je me rapproche alors de son cou, avec hésitation. Ma bouche effleure on ne peut plus légèrement sa chair.
- Ah quand même, on se marie maintenant ? Fit Karl.
Mais quelle horreur ce mec. Théo fait alors interruption, lui qui est si discret depuis le début.
- Les gars je suis fatigué, Jérôme on bouge ?
- Vas-y.
- Vous pouvez me ramener ? Il est deux heures déjà.
- Tu habites où ? Demande Théo.
Non. Je veux que ce soit Jérôme qui me raccompagne.
- Phalsbourg, mais toi Jérôme t'y habites aussi non?
- Oui c'est vrai mais personne entre dans ma voiture désolé.
Il me prend pour qui ? Il pense sans doutes que j'ai trop bu, et que je suis susceptible de vomir. C'est compréhensible, mais je suis effroyablement déçue.
- C'est bon je te ramène Mia, propose Théo.
Je fais la bise à Jérôme et Karl et pars avec Théo. Sans un mot, sans un SMS. L'aventure avec homme est donc aussi passagère que le bonheur qu'elle m'a procuré ?
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Un coeur sur la vitre
ActionJe dénonce dans ce témoignage, le viol, les violences parentales, le harcèlement scolaire, les addictions en tout genre... Mon but étant de sensibiliser les gens, de les sortir de leur ignorance et surtout de les aider. D'aider ceux qui sont passés...