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Tout se dégrade autour de moi. Mais surtout à l'intérieur. Je vois mon état régresser au fil du temps, mais on m'avait prévenu. Je commencerais par des douleurs, de plus en plus souvent, de plus en plus intenses. Des nausées, à en perdre la tête, des vomissements à tout va, des pertes d'énergie, une forte température. Je suis assise à la table. Mamé est en face de moi, elle tape quelque chose sur son ordinateur. Et moi, j'ai envie de mourir. Mon état mental s'est littéralement effondré sous la force des choses. Enfin, je me dis que c'est pas comme si j'avais déjà été heureuse un jour. Mon cerveau énumère toutes les façons possibles de me donner la mort. j'y songe, à chaque seconde. Je veux partir. Je ne veux plus, je ne peux plus affronter cette obscurité permanente, cette douleur incessante. Alors ce scénario tourne en boucle, je me rends sur des rails de train, je me jette d'un pont, je m'ouvre les veines... toutes ces idées noires sont omniprésentes dans ma tête. Je ne peux les contrôler comme je ne peux les détester. Elles sont la solution de mes supplices, le silence de mon vacarme. Je me lève, et me dirige vers ma chambre. Je pleure. Je pleure des larmes chaudes, une pluie diluvienne prend possession de mon âme. Je déteste tout le monde. Je donnerai tout ce que j'ai pour être seule jusqu'à la fin de mes jours, même si je ne possède rien. J'allume mon téléphone. J'ai une notification de Léane,
     - Je t'aurai bien invitée chez moi, mais je n'ai pas vraiment envie que tu te pètes le crâne sur mon évier  parce que t'as trop fumé tu vois.
Je relis une deuxième fois, puis une troisième. Je n'y crois pas. Je ne peux pas y croire, je ne veux pas y croire. Mon cœur palpite. Je meurs, du moins, j'aimerai mourir. Elle ne peut pas être une véritable amie, et m'écrire ça. Je réponds alors.
- Je ne te pensais pas comme ça, tu me déçois beaucoup.
- Tu veux quoi ? Tu fais comme si t'étais malade ou je ne sais quelle connerie, juste pour attirer l'attention et faire l'inintéressante.
D'un coup, je reçois une notification. Puis une autre. Et encore une. De personnes que je ne connais pas, « Nique ta grosse grand-mère la petite salope », ou encore « Tu es sérieuse ? » « Tu as vu ce que tu fais ? » Je comprends vite lorsque je regarde le profil de Léane et que j'y voit une vidéo de la dispute entre moi et Valentin, avec comme légende « expliquez moi comment une personne sois disant dépressive peut dire des choses aussi méchantes ? Vraiment honte à toi. » Elle a donc gardé cette vidéo si longtemps ? Partout. Je la vois partout, chez tout le monde, accompagné d'insultes, de mots, de lettres. Si je meurs là, maintenant, je serai épargnée de tellement de choses, de toutes manières, je suis incapable de supporter quoique ce soit. Je suis sans cesse en combat contre mes yeux pour éviter de paraître encore plus étrange que je ne le suis déjà. J'aimerai tellement quitter tout ça. Je veux mourir. J'ai l'impression que je n'irai jamais mieux et que ma vie s'est arrêtée le jour où je suis tombée malade. Je sèche mes larmes. Je me dirige vers l'armoire à pharmacie, en toute discrétion, guidée par mon esprit, je ne suis plus maître de moi-même. Je fouille, je tombe sur des antidouleurs, j'en prends une boite, et en regardant un peu plus au fond, je trouve deux boites de cachets codéines. Cette découverte me fait sauter de joie. Je prends une bouteille de soda, un verre et je retourne dans ma chambre. Je ferme la porte à clef. Je m'installe au dessus de la couette et j'observe les boites de médicaments éparpillées sur mon lit. Je fais une brève recherche sur chacun des dosages, en m'arrêtant plus particulièrement sur la rubrique overdose. Le paracétamol devrait pouvoir me rendre ce service. Je commence à ouvrir une boîte de codéine. Je prends deux cachets. Je les avales facilement. J'attends quelques minutes, puis j'en reprends deux. Je ne réalise pas tout à fait ce qu'il m'arrive. Je suis en train de m'ôter la vie. Mais la mort est une chose tellement abstraite. Je n'arrive pas à croire que des cachets vont me tuer. Et que va-t-il se passer après ? Ou cette situation va-t-elle me mener ? J'en avale un cinquième. Je pleure, mais je ne pleure pas de douleur. Je pleure de soulagement. Je vais mourir. Je repense à tout ce que l'on m'a fait. À toutes les fois où l'on m'a mal parlé, ces fois où l'on m'a jugée sans même savoir ce qui se passait dans ma tête. J'ai la sensation d'avoir perdu toute capacité cognitive. Je me sens comme un légume, inutile, immobile, vide de sens. Je vide la plaquette dans ma mains, et je prends cette poignée de médicament, tout en fronçant les sourcils. Je n'ai rien mangé et les effets de la codéine commencent à se faire sentir. Ma tête bourdonne, c'est comme l'alcool, mais en mieux. Je suis si bien. Mais je ne veux plus. Je veux ouvrir cette porte finale, cette dernière porte, celle qui mettra fin à tout ça, ma seule issue. Je ne peux pas retourner en cours demain, je ne peux plus porter ce poids, je ne veux plus adresser la paroles à qui que ce soit. Je veux juste mourir. J'ouvre la seconde boite, je prends deux médicaments supplémentaires. Je me couche. Je ferme les yeux. Je me sens partir. Et j'aime cette sensation. Je ne m'aime pas, je n'aime plus la vie, je me rapproche de ma mort, je côtoie sa douceur, ses bras m'enlacent, dans sa beauté je m'enlise. Voilà des mois que l'on se tourne autour, qu'elle me tente, qu'elle me hante. Et ce soir, je peux enfin faire corps avec elle, acquérir mon désir. La mort. Notre relation m'obsède. Mon cœur palpite, je sens ses bras caresser mon corps, effleurer ma peau. Elle m'appelle, elle crie mon nom. Elle me prend la main, et je me sens voler. Je vole au travers de la pièce. Je me détache de mon corps. Je souris. Je m'en vais. Je sors de ma chambre, je me retrouve dans la voiture. Les lumières défilent, la mort au volant, me regarde, avec effroi. Je tourne la tête et j'observe ce monde si flou, si dépourvu de haine, un monde outre ma souffrance, par delà ma peine. Un horizon de noir, puis des gyrophares, une sirène d'ambulance. C'est donc à ça que ressemble la mort ?

Un coeur sur la vitreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant