L'air est lourd. Un lourd soir de juillet. Un soir bercé du souvenir de Jérôme, mais de son souvenir seulement. J'ai essayé de lui écrire, lui demander si il va bien, si il est libre pour une petite soirée, comme la soirée d'il y a une semaine. Assez d'heures sont passées pour que je réalise qu'aux yeux de lui je n'étais finalement rien, juste une fille, comme il en rencontre à toutes ses soirées. Je marche. Je marche dans la chaleur de cet été. Je marche dans le froid de mon âme, dans cette aire glacière qui a pris possession de mon être depuis bien des années. Je marche dans ma douleur, dans cette tristesse chronique, qui m'est presque devenue physiologique. Je marche tout simplement vers la maison de Léa. Léa. Une amie d'enfance. Nous étions très proches en cinquième. Mais la vie a fait que nous nous sommes simplement perdues de vue. Il y a un an elle m'a avoué avoir déjà ressenti une étrange attirance pour moi, que j'avais été la seule fille pour qui elle avait déjà ressenti du désir. Cette révélation m'a beaucoup perturbée. Suite à ça, j'ai essayé de garder un minimum de contact. Nous nous écrivons de temps en temps. Et ce soir elle m'invite à manger chez elle.
Un moment d'hésitation me prend lorsque je me retrouve devant sa porte. Je me demande si c'est une bonne idée, je me dis que finalement nous n'avons plus autant d'affinités, que ça peut être gênant. Mais je sonne quand même. Léa m'ouvre. Elle n'a pas changé. Elle est la même. Ses cheveux blonds et fins tombent sur ses épaules. Ses yeux bleus et brillants, ses yeux si clairs, si profonds. Son teint est parsemé de petites tâches de rousseur. Son visage un peu potelé mais son corps est si fin, si parfait...
- Salut.
Sa voix est grave et presque sans émotions mais elle sourit. Elle est comme ça Léa. Je lui réponds, nous nous faisons la bise et elle m'invite à entrer. Nous nous installons dans son jardin. Un silence s'installe, comme je le craignais. Mais elle finit par dire :
- Tu vas bien ? Maël ne te manque pas trop ?
- C'est horrible. Je pense à lui tout le temps. J'ai constamment envie qu'il m'écrive, qu'il me dise qu'il a conscience de sa connerie et que je lui manque. Mais je sais pertinemment que ce n'est pas le cas. Alors je me rattache à l'idée qu'il me regrette. C'est comme ça. Ça me détruit mais ça fait du bien à mon petit coeur abîmé.
- Je te comprends. Parfois, ça fait du bien de se sentir rassuré même si ce n'est pas fondé sur des vrais faits. C'est se mentir à soi même mais lorsque l'on souffre autant, c'est largement pardonnable. Et puis on a tous le droit à un peu de gaîté non ?
- Exactement ! Et toi tu vas bien ?
- Pas trop. Je suis tombée amoureuse d'un garçon. Il s'appelle Lucas. Il a vingt et un ans et il est à l'armée. Je ne le comprends pas vraiment. Un jour il peut être génial, me dire je t'aime, me dire qu'il a envie de me voir, mais systématiquement une fois que nous fixons une date il se défile. Je suis perdue.
- Essaye de faire le vide. Prend tes distances, et surtout parles lui en, c'est le meilleur moyen pour savoir quelque chose ; parler.
- Oui c'est vrai tu as raison. Je ne devrai pas autant me prendre la tête. Tu veux boire quelque chose ?
Oui, une bière. Mais n'est-ce pas un peu déplacé ?
- Du soda ça ira.
J'aurais tellement aimé boire. Pour oublier cette tristesse qui me suit même quand je devrai m'amuser. Mais Léa me ramène une canette de soda. C'est comme ça. Accompagné de ça, un bol avec des chips et des noix grillées. J'ingère mon soda à une vitesse fulgurante et fermant les yeux très fort. Les bulles de détruisent la gorge mais la sensation est trop forte. J'imagine une bière, une bière forte.
- Tu avais soif dis-donc, dit-elle avec des yeux interrogateurs.
Merde.
- C'est la chaleur, en plus j'adore cette boisson.
Elle me regarde l'air sceptique. Mais elle me ressert tout de même un verre.
Nous parlons, de tout et de rien. Des discussions de fille. Je ne sais pas si ça me fait du bien ou non. Peut être oui. Je me suis surprise à rire, sans vraiment me forcer. Donc j'en conclu que oui. La nuit tombe et nous passons à table. Il y a la mère et le grand frère de Léa. Nous mangeons barbecue. J'ai même découvert que j'adore les salades de quinoa. Mais il me manque l'ivresse. A défaut d'alcool j'ai de l'attention. Mais est-ce vraiment suffisant ? Est-ce c'est réellement ce dont j'ai besoin ? je cherche à comprendre les autres, à comprendre pourquoi autrui réagit avec moi, mais je ne parvient pas à me comprendre moi-même. J'ai conscience de mes sentiments mais mon être est constamment disloqué entre ce que je ressens vraiment et ce que je voudrai montrer. Qui est Mia ? Qu'aime-t-elle ? Que veut-elle ? Ne pas se connaître soi même est la pire des pathologies. Un environnement qui me rend malade, qui a supprimé chaque parcelle saine de mon âme pour y glisser des milliers de petites tumeurs qui se nourrissent de mon ignorance. De mon ignorance envers les autres, envers la vie mais surtout envers ma propre conscience.
Il est presque minuit. Nous avons fait un feu. Je suis couchée aux côtés de Léa. Le ciel est dégagé, et nous sommes en hauteur. Le spectacle que nous offre le ciel, cette immensité céleste me passionne. Des milliers d'astres, un espace infini. Je me sens minuscule, insignifiante.
- Une étoile filante ! je crie comme une gosse.
Léa rigole.
- On dirait une enfant. Le ciel te passionne autant ?
Oui Léa. Le ciel me passionne, le ciel m'appelle à chaque seconde. J'ai sans cesse envie de le rejoindre, de me retrouver là haut, de contempler l'humain vivre, de m'éteindre. Combien de fois j'ai voulu m'envoler, m'envoler dans cette beauté interstellaire à vagabonder parmi les astres perdus, parmi les fragments d'étoiles qui autre fois brillaient, mais qui se sont éteintes. Comme beaucoup d'entre nous. Comme moi.
- Oui j'aime bien l'espace.
Le silence s'installe à nouveau. Ce qui n'est pas plus mal. Je n'ai pas envie de parler. J'ai juste envie de profiter de ce panorama magique. Le temps passe, ma douleur se calme, s'apaise. Comme si elle faisait une trêve. Une pause qui a lieu lorsque mes yeux se perdent dans l'univers. C'est comme une sorte d'anesthésie totale, mon âme s'endort en même temps que mon corps.
Une heure du matin. Mes yeux n'ont pas quitté ce géant parsemé de lumières. Léa commence à s'agiter, à se redresser, à regarder l'heure.
- Je vais bientôt rentrer, j'ai encore vingt minutes de marche.
- Ouais, je commence à fatiguer de toutes façons.
Elle me sourit. Nous nous levons. Je me dirige vers la porte d'entrée. Je salue Léa et je rentre. La tête pleine de rêve.
VOUS LISEZ
Un coeur sur la vitre
ActionJe dénonce dans ce témoignage, le viol, les violences parentales, le harcèlement scolaire, les addictions en tout genre... Mon but étant de sensibiliser les gens, de les sortir de leur ignorance et surtout de les aider. D'aider ceux qui sont passés...