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Aucun mot n'a la capacité d'exprimer ce que je ressens, à cet instant précis. c'était toute l'existence de ma vie qui avait été complètement ravagée par ce genre de nouvelle. Maman était passée, avec Ethan, Lola, Léon. Papé et Mamé m'avaient rendu visite. Tous pleuraient systématiquement. Maman avait appelé le lycée pour dire que je ne viendrai sans doute plus jamais, ce que les CPE n'ont pas vraiment apprécié, pensant sûrement à une blague de mauvais goût. Maman s'était effondrée et avait balancé « Ma fille va mourir d'une espèce de maladie du foie ou je ne sais quoi, donc permettez-moi de vous annoncer qu'elle n'a pas l'envie de passer ses derniers mois à se faire insulter par la bande de connards qui fait office de vos lycéens. » avant de raccrocher, larmoyante. Je lui suis reconnaissante. Ça me fait du bien d'imaginer ne serait-ce que leurs têtes. Et puis, hormis tout cela, il y avait bien sûr cette chose, comme je l'appelle. Cette chose qui avait pris possession de mon ventre, de mon corps, de ma vie. La chose est là. Parfois elle me fait mal, parfois elle me fait vomir, parfois elle m'empêche de manger, de dormir. La chose à pris possession de mon être, sans que je le sache, et maintenant que j'ai conscience de son existence, je ne cesse de l'imaginer grignotant mon foie, à chaque seconde. Plein de pensées fusent dans ma tête. Je vais mourir. Et ça, c'était sans doute le truc le plus difficile à m'avouer. J'avais à peine appris à connaître le libre arbitre que l'alcool m'avait retiré toute forme de liberté. J'ai eu droit à un laïus de psychologue, me conseillant en premier lieu de trouver un nom pour cela, de ne pas l'appeler par le terme médicale, j'ai donc choisi : la chose. En suite, il m'a conseillé de ne pas trop m'attacher à l'idée de mourir, pour ne pas détruire le peu de lucidité qu'il me reste, mais d'un autre côté, de ne pas m'attacher à l'idée de vivre, j'en serai déçue si l'on m'apprenait que finalement j'allais mourir demain. Et puis tout un discours sur une sorte de groupe de parole. Mais je n'avais qu'une envie, c'était de sortir. Je voulais vivre. Pour la toute première fois depuis longtemps. Je veux sortir de cet hôpital et tout tester, je veux faire mes dernières volontés, comme on le voit dans les films, profiter de ce qui semble être mes derniers instants, laisser ma marque sur cette terre avant de m'éteindre, au sens propre du terme.
    Je me suis endormie sans même m'en rendre compte. C'est mal parti pour mes idées de refaire le monde avant de mourir. Mais en me réveillant, je vois Kim assise au pied de mon lit.
- Bah alors marmotte !
Elle s'efforce de sourire, mais ça doit être plus fort qu'elle, elle fond en larme. Elle s'allonge délicatement à côté de moi, le visage entre ses mains. Je lui fais un peu de place. Je la laisse pleurer quelques minutes, sans rien dire, puis je lance.
- Peter va bien ?
Elle se redresse un instant, l'air interrogatif.
- Peter ?
Elle fronce les sourcils. Ma question me semble pourtant évidente.
- Kim, je ne vais pas te faire un dessin. Tu ne te rappelle donc déjà plus ? À nouvel an, Peter, le garçon avec qui j'ai flirté, l'ami de ton homme.
Son visage est perplexe, elle semble réfléchir, tellement que je peux presque entendre son cerveau fonctionner.
- Mia...
Je l'interroge du regard.
- Peter... n'existe pas.
- Hein ?
- Tu as fait une sorte de malaise à l'instant même où Josh nous a invité à entrer. Nous avons donc appeler les pompiers et tu t'es retrouvé ici. Autant dire qu'un nouvel an aux urgences, on s'en souvient.
Elle essuie son nez sur sa manche. Je suis bien trop perturbée pour trouver ça répugnant.
- Par contre, reprend-elle, Hugo m'a demandé ce qu'il s'était passé, je n'ai rien dit.
- Je vais m'en charger, j'ai pris ses coordonnées.
Je parle dans le vide total, comme si mon esprit n'était pas là. Peter. Il n'est pas le fruit de mon imagination, c'était bien trop réel. Je suis complètement déroutée. Je veux qu'il soit là, avec moi, je ne veux pas donner de nouvelles à Hugo, je veux juste être avec Peter et oublier la chose. Mais je n'ai pas pu l'imaginer. Il était bien trop là, trop lui, trop réel.
- Hugo est vraiment un gars bien, ajout-elle, le regard dans le vide.
Je veux Peter. Mon cœur a choisi Peter. Suis-je irrévocablement dédiée à aimer une personne aussi fictive, aussi irréelle, aimer un ombre de mon esprit, un mur, une paroi de mon imaginaire. Pire encore, aimer un être qui ne demeure que lorsque mon corps rejoint la mort, s'approprier doucement le chemin vers la lumière éternelle. Et s'il n'était pas présent dans l'au-delà ? Et si mes songent n'avaient pas la capacité de faire perdurer son image loin du commun des mortels ? J'ai peur. J'    ai vécu toute ma vie sans Peter et voilà que maintenant je dois l'abandonner après avoir goûté au somptueux miel de ses lèvres. Je l'aime et il m'aime. Nous nous aimons, et nous nous aimerons toujours, notre nuit figée dans les entrailles de mon âme.
    Kim s'en va, maman revient. Les quelques visites s'enchaînent, m'épuisent, me fatiguent. Je sombre plusieurs fois par jour dans le sommeil. Je sombre dans les ténèbres de mon esprit, entre les quatre mûrs de mes pensées, coincée dans les griffe de la chose, entre les mains des démons qui m'ont conduit à me perdre, à me perdre si loin que j'y ai laissé le moi. Moi n'existe plus. Je ne suis plus moi. Je ne suis pas. Je ne suis plus. J'étais. Dans les bras de Peter mais Peter n'existe pas. Il n'est que le fruit de mon cerveau qui essaie de me convaincre que je suis là. Mais je ne le suis pas. Je suis couchée sur ce lit d'hôpital, à attendre gentiment la faucheuse m'accueillir dans sa marche. Je ne fais que regarder la trotteuse me narguer, me fixer avec vanité, tout en me rappelant que ma mort approche, que je rejoindrai bientôt le palmarès, mes défunts. Je suis livrée à ce combat, seule. Contre la chose, contre le monde. Comme si je ne m'étais pas assez battue lors de ma courte existence, comme je n'endurais pas assez de rage et de peine, comme si mon malheur s'étendait, chaque fois dans des dimensions différentes, jusqu'à tout monopoliser. J'ai passé mon adolescence dans les abysses, dans les abîmes de de la faille la plus profonde de la Terre. J'ai passé mes jours dans cette noirceur éternelle, sans cesse mener encore plus bas par les épreuves qui m'ont noyée.
    La nuit tombe, le bruit incessant des machines auxquelles je suis branchée me berce. Maman s'en va pour de bon, elle me promet qu'elle sera là demain à la première heure. J'acquiesce. Elle m'embrasse puis disparaît sans se retourner. Je prends mon téléphone, je tape des numéros. Ça sonne. Je patiente. Une voix me répond.
- Oui allô ?
J'ai des frissons. Je souris.
- Salut.
- Oh ! Salut toi, comment tu vas ?
- Je vais très bien, et toi ?
- Je vais bien.
Un petit blanc s'installe, mais très vite, une discussion s'enchaîne. Les minutes passent à une vitesse incroyable.
- Je t'y emmènerait ! Je t'assure que leurs cocktails sont juste incroyables, dit-il avec enthousiasme.
- J'adore Paris.
J'adore discuter avec lui. Nous parlons de plein de choses, de tout et de rien, il me fait du bien. Le grésillement de sa voix fait palpiter mon cœur et apporte une lueur à ma nuit.
- Disons que je ne tombée que sur des connards. Mon ex, Maël, a été mon premier amour. J'avais treize ans, il en avait seize. J'étais jeune et bête. Nous sommes sortis ensemble un peu plus d'un an. Mais j'étais quelqu'un d'insupportable, qu'on se le dise ! Entre jalousie, hystérie, possessivité... ses sentiments se sont donc estompé en l'espace de quelques mois, mais il est tout de même resté, ayant conscience que notre relation battait de l'aile. Mais encore une fois, j'étais jeune, trop jeune. Je n'excuse pas son comportement, bien au contraire, je dis simplement que si j'avais eu un autre comportement, tout se serait passé autrement. aujourd'hui, je n'ai plus aucune rancœur en vers lui. c'est la personne qui m'a la plus fait de mal, certes, mais c'est comme ça. On fait tous n'importe quoi dans une première relation.
- Tu es en train de me dire, que ce mec est resté plus de six mois, avec toi, alors qu'il ne t'aimait pas ? Mais pourquoi est-il resté si longtemps ? C'est totalement inhumain.
- Pour le sexe je suppose.
- Putain quel enflure.
- C'est juste la nature de l'homme.
- On est pas tous comme ça ! Dit-il presque vexé.
- Vous dites tous ça.
- Quand je fais... « ça », c'est uniquement par amour.
- Mais Hugo...
- Oui ?
- Tous les hommes disent ça.
Nous restons en ligne, encore deux heures. Il me parle de sa vie, son histoire d'amour à lui.
- Bâton ? Je rigole.
- Bâton, il rit aussi, enfin bon, le plus important, c'est qu'on se soit relevés.
- Entre autre...
- C'est à dire ?
Je ne suis pas sûr d'avoir envie de parler de ça, mais parler à Hugo semble tellement simple.
- Disons qu'après ma rupture, je suis partie très très loin. Je pleurais tout le temps, je ne dormais plus, je ne mangeais plus, j'avais vraiment un rythme de vie horrible. Je suis donc allée voir un médecin.
- Et ?
- Et il a dit, avec l'intonation qu'ils prennent souvent tu sais, « Mia, tu es dépressive ».
-...
- Alors ma vie a continué son court, et j'ai trouvé refuge dans quelque chose de as très sain. j'ai commencé à boire. Souvent seule, dans ma chambre le soir...
Il me coupe.
- Jamais seul.
- Je sais... mais je le faisais. Seule, tous les jours, à la recherche d'une solution dans l'ivresse. Je suis retournée voir un médecin. Parce que, j'étais encore plus mal qu'avant. Il a dit «  Mia, tu es... »
- Dépressive ? Déduit-il.
- Alcoolique.
- Oh merde.
- Enfin voilà. Aujourd'hui, je vais mieux, enfin, tout est relatif.
Nous terminons cette discussion sur cette note attristante. Je raccroche. Il est minuit cinq.

Un coeur sur la vitreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant