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Je ne suis pas morte. Mes yeux émergent lentement. Je suis perfusée. Je n'arrive pas à lire ce que c'est. Je vois flou. Je ne me sens pas bien du tout. Je me sens sûrement comme quelqu'un ayant avalé une vingtaine de cachets codéiné. Je me lève brusquement, un infirmière me tend un haricots et je vomis. Je vomis ce liquide brûlant et toxique, cette amertume du paracétamol mélangée à l'acidité de ma peine. Je ne comprends pas pourquoi ils donnent d'aussi petits récipients pour vomir, ces choses sont vraiment minuscules. Une fois terminé, je me recouche. Mais je ne dors plus. Je plane encore un peu, ma tête tourne. Je ne suis pas morte. Et c'est une véritable déception, du moins, c'est ce que j'essaie de croire. Je me demande même si je ne suis pas rassurée, au fond. Finalement, je me rends compte que comme toutes les personnes désespérées, je ne voulais pas mourir, je voulais juste pouvoir me libérer de ma douleur, et j'aurai aimé m'en rendre compte plus tôt. Mais si j'avais eu cette réflexion, qu'est ce qui aurait changé ? Il n'y a pas vraiment de solution à cela. Je suis destinée à avoir mal, jusqu'au bout, donc la mort semble évidement être la meilleure solution. Ou alors il faudrait que je puisse broyer mes neurones, simplement arrêter de penser, ne plus me prendre la tête, ne plus être touchée et blessée pour tout et rien, cesser de tout analyser, constamment, arrêter de chercher des réponses à des questions qui n'ont simplement pas de solutions. Si seulement je pouvais mettre mon esprit sur pause, juste quelques petites secondes.
- Ta maman va arriver, me dit l'infirmière.
Cette annonce me fait peur. Je ne sais pas si elle va être en colère, triste, ou juste profondément déçue. La femme sort de la pièce, maman entre. Elle me fait un bisou sur le font, et fait comme si ne rien était. Elle me regarde, me sourit un peu. Mais d'un coup, mon visage se décompose. Je prends un nouveau haricot propre à côté de moi, et je vomis, encore. Maman vient derrière moi, elle tient mes cheveux et pose une main sur mon ventre.
- C'est normal...
Sa voix m'apaise, même dans cette circonstance.
- Tu peux demander si je peux avoir de l'eau ? Dis-je tremblante.
Elle se lève et quitte la pièce. Elle revient avec une infirmière.
- Si tu bois, tu risques de vomir encore plus, nous t'avons administré un produits qui te fait vomir afin que tu sortes tout ce que tu as dans ton estomac.
- Je n'avale pas alors, j'aimerai juste me rincer la bouche.
Un autre infirmier arrive et me donne un espèce de morceau de coton imbibé d'eau.
- Elle ne peut pas avoir d'eau, s'exclame-t-il en quittant la pièce.
Je regarde cet espèce de truc mouillé qui gît au creux de ma main.
- Je suis censée faire quoi avec ça ?
La dame me regarde avec empathie. Elle prend un gobelet dans un tiroir à proximité de mon brancard, elle y verse un peu d'eau et me donne un autre haricot.
- Rince toi la bouche, mais n'avale pas, recrache l'eau la dedans, me dit-elle en souriant.
Je lui rend son sourire. Cette action me fait chaud au cœur. Elle s'extirpe et me laisse seule avec maman. Je me blottis sous le minuscule draps qui me sert de couverture. Je regarde mon téléphone et il indique une heure treize. Maman ne me parle pas de ce qui s'est passé, et c'est mieux comme ça. J'ai essayé de me suicider. Ces pensées sonnent faux en moi. Je ne réalise pas tout à fait. Je sais que j'ai voulu m'éteindre, mais à mes yeux, ce n'était pas une tentative de suicide, comme je ne me suis pas faite violer, on a juste abusé de moi. Je n'accepte pas les choses telles qu'elles sont. Je n'arrive pas à concevoir la gravité de la situation. Je dirai même que je ne vais pas si mal que ça. Et pourtant je me sens indéniablement différente, comme si je n'étais pas humaine, comme si il y avait quelque chose dans mon esprit qui m'empêchait d'être comme les autres et d'être acceptée comme je suis. Je me déteste. Je me déteste comme je n'ai jamais détesté personne. J'ai voulu me tuer et j'ai échoué. Je n'ai même pas laisser mon foie le faire, je l'ai décidé. Que va-t-il se passer désormais ? Comment vais-je vivre par delà le jugement des autres, encore, comment vais-je avancer avec cette dépression qui me ronge, avec ces pensées qui m'écorchent, sans cesse. Je suis contrainte à vivre mes derniers mois avec cette tristesse qui me cogne.
- Mia, suis-moi.
Une femme âgée d'une cinquantaine d'année entre dans la chambre avec un carnet de note. Elle ne me regarde même pas.
- Je t'emmène voir la psychiatre des urgences.
- Je dois me déplacer ?
- Oui.
Je ne comprends pas vraiment. Je ne me sens pas capable de me déplacer. Je m'assois au bord du brancard, ma vision de trouble. Je laisse mes pieds tomber vers le sol. Je n'y arriverai pas.
- La codéine n'est pas un sédatif, tu peux très bien marcher quelques mètres, me dit-elle avec un air hautain.
Je lui jette un regard noir. J'essaie tant bien que mal de me lever, avec l'aide de maman. Je traverse le couloir lugubre des urgences, en ne croisant que des infirmiers. Je me retrouve devant la porte de la psychiatre urgentiste. C'est un bureau avec deux dames. Elles m'accueillent. Je m'assoie sur une chaise en bois. La psychiatre me pose des tas de questions sur les raisons de mon actes. Je réponds instinctivement. Mais en quelques minutes seulement je sens quelque chose remonter. Je m'agite, je vais vomir. La femme comprend, elle me tend un de ces vieux haricots et je vomis. Entre deux haut le cœur, elle ose me poser des questions, auxquelles je ne réponds pas. Une fois qu'elle comprend que je ne suis plus apte à parler, elle me propose de souper court à cet entretien et de regagner la pièce où j'étais installée. Ce qu'évidement j'accepte. Je me déplace comme une limace, molle, lente. Je reprends place sur mon brancard, je me couvre avec mon minuscule draps et je m'endors aussitôt. Une demie heure plus tard, une infirmière vient pour une dernière prise de sang, afin de vérifier si je n'ai pas abîmer mon foie plus qu'il ne l'est déjà. Elle regarde maman et dit.
- Je suis désolée..
Je pense avoir compris. Je lance.
- Venez en aux faits.
- La greffe ne sera d'aucune utilité désormais... je suis vraiment navrée.
- Donc je n'ai plus aucune chance c'est ça ? Dis-je avec un sourire nerveux.
Elle ne me répond pas. Elle ne me répondra jamais. Elle sort de la pièce, en disant à ma mère que je suis libre de rentrer à la maison. Je prépare mes affaire, et je quitte l'hôpital. Aussi morte que lorsque j'y suis rentrée.

Un coeur sur la vitreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant