- Lola tu pues des pieds ! Va te laver ! Crie Ethan.
Nous sommes tous sur le canapé. Je regarde ma série, et je ne fais pas vraiment attention à ce qu'il se passe autour, mais le ton commence à monter doucement.
- T'as le nez trop près de la bouche, dit Lola avec sa voix de gamine.
- Tu te prends pour qui de me parler comme ça ? Rétorque Ethan.
Maman intervient, pour une fois.
- Mais calme toi, c'est juste une phrase, tout le monde le dit, même moi.
- Non, ça veut dire que je pue de la gueule.
Ethan ne comprend vraiment rien, mais je ne prends le parti de personne, Lola pue effectivement des pieds.
- Mais n'importe quoi, arrête maintenant.
- Si ! Elle insinue que je pue de la bouche !
- Mais putain tu comprends rien, tu sais quoi ? Laisse tomber, on peut rien te dire sans que tu t'énerves.
Je soupire bruyamment. Je n'arrive plus à entendre ma série. Et après tout ça, maman ose encore me demander pourquoi je passe mon temps dans ma chambre.
- Je vais me coucher, vous me cassez tous les couilles, dit Ethan.
Ça ne va pas plaire à maman ça.
- Vas-y dégage seulement.
- Tu es s...
C'est de trop.
- Non, vous savez quoi ? C'est moi qui dégage.
Je prends mon téléphone et je monte dans ma chambre. Je mets tout de suite mes écouteurs pour masquer leurs cris.
Il est trois heures trente du matin. Je suis allongée dans mon lit et j'observe le plafond. C'est toujours les mêmes sentiments qui prennent mon sommeil. C'est toujours ce manque d'amour et d'affection, ce besoin presque vital qu'on s'intéresse à moi qui m'éveille. J'ai besoin d'une famille, d'une mère, d'un père. J'ai besoin qu'on me dise qu'on est fière de moi, qu'on m'aime. Et si c'était trop demandé, rien que de pouvoir raconter mes journées, pouvoir confier tout ce que je ressens, tout ce qui me passe par la tête. J'en ai besoin. Je ferme les yeux mais je ne dors pas. Mes pensées forment un va et vient obscure. Comme un tourbillon infernal dans lequel je laisse délibérément mon esprit s'aventurer. Malheureusement mon soleil s'en va tout aussi aisément qu'il ne revient. Je commence à m'accoutumer au fait de ne bénéficier que de quatre heures de sommeil. Ma tête est sur le point d'exploser. J'essaie de m'imaginer cette personne pour qui j'existe, cette personne qui ne m'entend pas exclusivement. Cette personne qui m'écoute. Celle qui prendra le rôle que ma mère n'a jamais pu exercer, ou combler ce trou que Papa m'a laissé. Et par delà ces idées noires entre-mêlées, je ne peux distinguer qu'un seul et même souvenir, un souvenir qui se démarque de tout et que je perçois parmi ma foule de sentiments. Je visualise chacune de mes pensées comme des petits points rouges, en perpétuel mouvement, et ce fameux souvenir, comme un énorme tache noire immobile, en altercation avec les autres pensées qui s'y cognent. Cette nuit, cette nuit d'octobre. Elle pèse lourd, très lourd. J'ai l'impression qu'elle se transforme petit à petit en un fardeau qui m'empêche d'avancer, un œdème m'empêchant de vivre pour de vrai. Je prie Morphée pour qu'il ait pitié de moi, qu'il me porte dans ses bras juste une fois. Ma solitude me dévore. Comme j'aimerais parler. Je ne demande qu'une oreille, pour y couler tous mes maux. Je veux juste sortir tout ce qui erre en moi, tout ce qui me pourri de l'intérieur. Mais qui ? Qui est assez fort pour entendre tout ça ? J'essaie d'endiguer cette idée mais elle me colle. Je me resserre un verre de whisky. J'aimerais juste pouvoir faire part de cette putain de solitude à quelqu'un. J'aimerais hurler que mes addictions me bouffent, que ces insultent quotidiennes me détruisent, que mon père me manque et que le manque d'amour de ma mère me tue. Julia ? Non Julia s'en fou. Zoé est bien trop immature, et je ne suis pas assez proche d'Anaïs. Que faire ? À qui en parler ? Puis à cet instant me vint cette idée. Je prends une feuille, un stylo, et laisse mon cœur dicter mes mots :
« Metz Mia, seconde deux.
Monsieur,
Bonjour ? Bonsoir ? Peu importe. Je m'excuse d'avance de vous faire part de mes petits problèmes personnels, d'autant plus que vous avez sans doute autre chose à penser que mes petits soucis. Mais peut-être que ça me ferait simplement du bien d'écrire noir sur blanc ce que je ressens, même si ces mots ne vous parviennent pas, ou si vous n'y prêtez guère intention. Tout le monde me demande si tout ça est terminé, si je vais mieux, et par fierté je répond que oui, que mon cerveau est guéri. Mais personne ne sait. Ça commence simplement par des réveils de plus en plus durs. Des pensées malsaines, obscènes, suicidaires dès le matin. Je me dis, chaque fois que mon réveil sonne, que je n'aurai pas la force d'affronter la journée suivante, qu'aujourd'hui sera enfin ma libération, que j'allais enfin craquer. Alors je me lève. Et cette journée caligineuse commence, avec cette allure de zombi. Chaque heure compte double, mon cerveau ne fait que relater les différentes façons de me donner la mort. Je sens monter mes larmes à chaque seconde. Alors toute cette journée se fait, avec cette bataille contre le regard des autres mais surtout contre moi-même. J'ai la haine en vers les autres, en vers le monde entier. Et je ne demande qu'à me retrouver seule dans ma chambre avec une bouteille d'alcool et quelques notes de musique. Puis vint le soir où je me demande pourquoi n'ai-je pas achevé ma vie aujourd'hui encore. Je me couche et je ne cesse de marteler les mots alcool, drogue, mort. Je ne suis plus moi-même. Je suis sous l'emprise de ces pensées, de cette putain de maladie. Je ne fais que brasser du noir, tout le temps. Chaque lueur me fait penser que mon air est irrespirable, que seule la mort peut me libérer de là. Mais est-ce vraiment une solution ? À mes yeux oui. Mais pour eux c'est lâche. Mais au fond, n'est-ce pas d'autant plus égoïste de me laisser survivre, de me laisser dans cette douleur, qui nuit mon quotidien ? Je ne sais plus quoi penser de moi-même, je n'entends que ces voix intérieures qui me déchirent. J'ai l'impression de n'être réduite qu'à cette fille dépressive, suicidaire, j'ai la sensation de passer pour une débile, une taré. Mais au fond n'est-ce pas le cas ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je ne sais même plus à quoi me servent mes mots, ils ne me soulagent même plus. Et ce soir monsieur, j'ai l'impression que passer à l'acte ne sera même pas nécessaire puisque je crois mourir de l'intérieur. »
À la fin de cette lettre je suis en pleure. Combien de page j'ai du écrire, combien d'appel à l'aide j'ai déjà lancé sans que l'on me tende la main ? Des centaines. Des torrents salés, un écoulement laminaire traverse mes joues et je suis presque sans voix. Je la lis. Je la relis. Vais-je la lui donner ? Est-ce une bonne idée ? J'ai tellement peur. J'ai peur que lui aussi ne prête aucune attention à ces mots, ou pire, qu'il me juge. Je ne pourrais supporter ça. J'ai histoire demain. Je la lui donnerai, c'est décidé. Et sous cette décision, je m'endors, au milieu de mes larmes.
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Un coeur sur la vitre
ActionJe dénonce dans ce témoignage, le viol, les violences parentales, le harcèlement scolaire, les addictions en tout genre... Mon but étant de sensibiliser les gens, de les sortir de leur ignorance et surtout de les aider. D'aider ceux qui sont passés...